Fleur de Lotus
Nạk citwithyā
Des tags sur la peau
HUWART,ANNE-CECILEmardi 24 avril 2007, 10:23
Quand la douleur intérieure est trop forte, certains jeunes préfèrent souffrir physiquement. Ils s'automutilent, en se coupant ou en s'infligeant des brûlures de cigarette. De préférence là où ça se voit. Un dossier d'ANNE-CÉCILE HUWART
De tout temps et dans toutes les cultures, les hommes ont voulu marquer leur corps de manière parfois violente. Souvent par tradition, pour symboliser l'appartenance à un groupe ou signifier sa différence. Excision, circoncision, scarification, tatouages, piercings... Mais il arrive aussi que des personnes choisissent de se blesser volontairement afin d'extérioriser une souffrance intérieure. Ils se coupent ou se brûlent, essentiellement les avant-bras. Parce qu'ils veulent que leur souffrance se voie.
Ces pratiques d'automutilation concernent souvent des ados. « Les ados se situent entre deux chaises, plus vraiment des enfants mais pas encore des adultes non plus, explique Nicolas Zdanowicz, psychologue au service de psychopathologie et de psychosomatique à la clinique de Mont-Godinne. Cette situation favorise les états borderline. Tant qu'ils sont en groupe, tant qu'ils sont à l'école, tant qu'ils ont un rôle particulier à jouer, ça va. Mais lors des moments de solitude, ou quand ça va mal, ils dépriment, et s'automutiler leur permet, en quelque sorte, d'exister. Ils se sentent vivre, dans ces moments-là. Ils préfèrent avoir mal dans leur corps que dans leur tête. Cela dit, certains jeunes font ça de manière ponctuelle, temporaire, parce que ça le fait . Cela s'apparente alors plus au piercing ou au tatouage. »
Une jouissance morbide
Pour Philippe van Meerbeeck, pédopsychiatre et responsable du Centre thérapeutique pour adolescents des cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, l'automutilation s'explique en partie par la puberté. « Pouvoir donner la vie peut donner envie de jouer avec la mort..., explique-t-il. Tous les ados ont des pulsions irrationnelles qui leur procurent une sorte de jouissance morbide. C'est important de ritualiser ces pulsions afin d'en faire un temps initiatique, dans un contexte cadré. Or, nous vivons dans un monde où ces rites n'existent plus. Sauf, peut-être, lors des totémisations scoutes ou des baptêmes étudiants ; si les chefs ou autres responsables en font bon usage, sans sadisme, ces pratiques sont une bonne chose. »
S'automutiler s'apparenterait également à une conduite à risques. Comme la fugue, l'alcool ou le cannabis. « À défaut de s'éprouver comme vivants, ils se mettent dans des situations où ils éprouvent leur corps, poursuit Nicolas Zdanowicz. Comme avec les montagnes russes. L'idée de braver l'interdit est aussi très importante. S'automutiler, c'est comme inscrire des tags sur sa peau. »
Un remède ? « Une manière de s'en sortir est de réfléchir au sens de son geste, avec l'aide d'un adulte ou d'un psychologue », suggère Philippe van Meerbeeck.
« On n'efface pas une cicatrice, on l'atténue »
Le Dr. Olivier De Lathouwer est chirurgien plasticien. Il y a six mois, une jeune femme est venue le voir. Elle présentait une cinquantaine de coupures sur les bras.
Comment réagissez-vous face à une personne qui vous demande d'effacer les cicatrices qu'elle s'est infligées en s'automutilant ?
Il y a plusieurs éléments à prendre en compte. Il faut voir si, techniquement, on peut l'aider. Mais il faut également analyser le côté relationnel. La personne qui est venue me voir il y a six mois n'est plus jamais revenue pour les soins postopératoires, pour changer ses pansements, etc.
Cela signifie qu'elle a recommencé à se couper...
Probablement. Lorsqu'il s'agit d'une crise limitée et occasionnelle, la réparation peut se faire. Mais dans le cas de personnes relevant davantage de la psychiatrie, c'est plus compliqué. Parfois, les psychiatres pensent que traiter les cicatrices pourra aider le patient, parce que celles-ci sont stigmatisantes socialement. Mais l'expérience n'est pas toujours concluante. Un patient n'est pas l'autre...
Comment peut-on traiter les cicatrices ?
Ça coûte cher ?
Ça dépend du patient, de l'établissement, du chirurgien... Quoi qu'il en soit, la mutuelle n'intervient que dans des cas très particuliers, pour « correction de cicatrices disgracieuses ». Et le remboursement ne dépasse pas 50 à 100 euros.
« Je me mutile, je souffre, et regarde-moi ! »
« J'avais 16 ans, la première fois que je me suis coupé. C'était comme un appel au secours. » André (prénom d'emprunt), 22 ans aujourd'hui, se trouvait alors placé en institution psychiatrique pour d'autres problèmes. « Le personnel allait vers ceux qui avaient l'air le plus en souffrance. Ceux qui affichaient leur maladie en s'automutilant. Il y avait une sorte de dynamique de groupe : c'était à celui qui faisait couler le plus de sang, qui parvenait à le coller ou à écrire avec sur les murs... Parfois, ces jeunes prenaient des photos. C'était comme un moyen d'expression. Avant, je n'avais jamais fait ce genre de truc. Je n'avais jamais eu cette idée. C'est là que ça a commencé. »
André voulait qu'on s'occupe de lui : « Moi, j'étais aussi en souffrance, mais on ne m'entendait pas. » Il commence alors par une petite griffe avec un couteau. Sur la gorge. « La gorge, c'était plus théâtral ! Mais la lame ne coupait pas. Ça ne faisait pas mal. Je ne voulais pas vraiment m'égorger... »
« Je m'en suis sorti,
miraculeusement »
Pour André, le sang coule comme un cri. « Je me mutile, je souffre, et regarde-moi ! C'est cela qu'on cherche. Sur le moment, en voyant le sang, on ressent une sorte de colère. Puis, un soulagement momentané. »
L'ado se lance dans une sorte de surenchère morbide. « J'avais été dans un magasin sado-maso... On trouvait là toute une artillerie bien glauque. En psychiatrie, tout le monde va mal. Il fallait que je me différencie, que je sois celui qui apparaissait comme le plus en souffrance. »
C'est la douleur, physique cette fois, qui a mis un terme à l'automutilation d'André. « Tant que la peau est souple, ça ne fait pas trop mal. Mais mon bras était devenu tout dur, à force de le couper... J'ai alors arrêté. Maintenant, je regrette tout cela. Je m'en suis sorti, miraculeusement - j'en connais peu qui y parviennent. Et aujourd'hui, je me retrouve avec toutes ces marques dont je ne veux plus... Ça ne m'empêche pas de mettre des t-shirts, mais je suis très embêté quand quelqu'un remarque ces cicatrices. Il faut vivre avec... »
[gv3box=Quelques adresses]
- La Ramée - Fond'Roy. 34b, avenue de Boetendaele, 1080 Bruxelles. 02-344.18.94.
- Centre Jean Titeca. 11 avenue de la Luzerne, 1030 Bruxelles. 02-735. 01.60.
- Centre thérapeutique pour adolescents. 10 avenue Hippocrate, boîte 2002, 1200 Bruxelles. 02-764.20.02.
- Hôpital Vincent Van Gogh. Unité psychiatrique pour adolescents, 55 rue de l'Hôpital, 6030 Marchienne-au-Pont. 071-92.00.61.
- La Petite Maison. 8 rue des Acacias, 1450 Chastre. 010-65.39.50.[/gv3box]
« C'est horrible de voir son enfant qui s'abîme »
La fille de Marc (1) aura bientôt 16 ans. Elle a arrêté l'école, n'a que peu d'amis. Lisa est surdouée. « Elle s'est toujours sentie rejetée, commente son père. Elle a du mal avec les jeunes de son âge. » Lisa souffre d'anorexie et s'automutile depuis deux ans. « Ça a commencé par l'anorexie, explique son papa. A un moment, elle ne pesait plus que 38 kilos... Elle ne mangeait plus, ne buvait même presque plus. Elle a dû être hospitalisée et nourrie artificiellement. » L'automutilation a commencé un peu après l'anorexie. « C'est très perturbant. C'est horrible de voir son enfant qui s'abîme. C'est très difficile à accepter. Ma fille, elle, me disait : Tu sais, à l'école, il y en a plein qui font ça ! Je suis tombé des nues... »
Marc voit dans les blessures que s'inflige sa fille la même volonté autodestructrice que la privation de nourriture : « Ça devient un peu comme une drogue. Ça va toujours plus loin. Voir le sang provoque chez ceux qui s'automutilent une sorte d'apaisement. Quand ils se coupent, ils savent pourquoi ils ont mal... » Le père se sent impuissant : « Au fur et à mesure, on se rend compte que cela ne sert à rien de se braquer là-dessus. Ça ne ferait que renforcer le problème. Il faut comprendre que c'est un symptôme. Le signe d'un mal plus profond... »
Les avant-bras de Lisa sont aujourd'hui couverts de cicatrices. « Ses jambes également, ajoute Marc. Mais elle assume ses marques, elle ne se cache pas les bras. Elle sait que cela fait partie de son histoire. Elle supporte les regards. » Il semble que Lisa commence à aller mieux. « Elle se coupe de moins en moins souvent et de moins en moins profondément. Maintenant, je sens qu'elle est dans une bonne phase, elle fait des projets. Ses problèmes alimentaires ne sont pas réglés - le seront-ils un jour ? -, mais son poids se stabilise. J'ai l'impression qu'elle reprend goût à la vie. »
(1) Les prénoms ont été modifiés.