Les demandes de dissolution d'entreprise faute de capacité financière suffisante se multiplient à Bruxelles, alors que de grands acteurs de l'horeca ou de l'immobilier se préparent à des lendemains difficiles.
"On commence par quoi, ce qui est catastrophique ou désastreux?", lance l'énergique président du tribunal de l'entreprise francophone de Bruxelles,
Paul Dhaeyer. Présent également, le président de la chambre des entreprises en difficulté,
Pierre-Yves de Harven, assure que l'heure est grave pour le monde entrepreneurial bruxellois. Une situation qui se reflétait
dans les chiffres des faillites délivrés il y a quelques jours par Graydon, mais de manière incomplète selon les deux hommes, qui disposent d'autres indicateurs, tous dans le rouge foncé.
Avec une hausse de 7% au niveau national et de 15% à Bruxelles en 2024 par rapport à l'année précédente, les chiffres des faillites sont déjà jugés "affolants". Mais la situation serait en réalité bien pire, car
il faut ajouter à cela les dissolutions judiciaires à la demande du fisc, du parquet, de l'ONSS... "Avant 2019, il s'agissait de faillites. Mais quand il n'y a rien à récupérer, une dissolution coûte moins cher", explique Pierre-Yves de Harven, qui fait état d'une multiplication des demandes au dernier trimestre de 2024 avec,
en moyenne, 140 demandes de dissolution chaque mois.
Filigranes, Sicli, Audi...
Aux 1.500 faillites d'entreprises bruxelloises francophones et aux 400 néerlandophones, il faut ajouter
764 dissolutions au total pour l'année écoulée. "Si ça continue au rythme actuel, on en aura 1.600 en 2025", alerte Paul Dhaeyer.
Autre indicateur inquiétant:
la hausse des procédures en réorganisation judiciaire (PRJ). Selon nos deux interlocuteurs, on comptait, d'ordinaire, une dizaine de PRJ privées et environ une soixantaine de PRJ publiques par an. Mais en 2024, pas moins d
e 208 dossiers du genre ont été enregistrés. Certaines procédures ont marqué les esprits:
on songe à la librairie Filigranes, ou encore à la société uccloise spécialisée dans la prévention des incendies
Sicli. Dans cette dernière,
un repreneur irlandais, le groupe Moyne Roberts, a pu sauver 80 ouvriers sur 300.
Dans une quinzaine de jours, une autre entreprise avec pignon sur rue et de très nombreux emplois potentiellement menacés pourrait faire parler d'elle, pour cause de PRJ. "Ce qui est frappant, c'est la taille des entreprises désormais concernées", affirme son Pierre-Yves de Harven, qui voit
même de grandes sociétés immobilières commerciales venir frapper à sa porte.
Les sous-traitants d'Audi pointent, eux aussi, le bout de leur nez.
Un dernier chiffre, celui des sociétés passées par la
chambre des entreprises en difficulté, complète ce sombre tableau. Le nombre de nouveaux dossiers, qui s'élevait déjà à 2.940 en 2023, est passé à 3.536 en 2024.
"Les défauts bancaires sont en augmentation"
Les entreprises bruxelloises concernées ont en commun le fait de ne plus parvenir à rembourser leurs crédits ou la TVA. "
Les défauts bancaires sont en augmentation. Beaucoup d'entreprises bruxelloises sont en train de perdre leurs capacités financières. Nous arrivons aux limites du système face au nombre de sociétés en demande", alerte Paul Dhaeyer.
Un problème de financement qui toucherait tous les secteurs, et pas seulement l'horeca. "Les entreprises du transport, de la construction et même des boîtes de production n'ont plus de réserves et peinent à se refinancer."
Les causes? Il ne faut pas les chercher loin. Pour Pierre-Yves de Harven, cela fait deux ans que le tribunal tente de faire comprendre au monde politique que
les conséquences de la crise covid vont seulement se faire ressentir maintenant. Si de plus petites entreprises avec peu de trésorerie ont directement sombré, d'autres se sont maintenues à flot, le temps que certaines créances arrivent à maturité. Et depuis la pandémie, d'autres crises se sont ajoutées avec l'Ukraine, l'énergie, l'inflation... "Nous vivons le backlash maintenant et on n'est pas encore au sommet de la vague."
C'est un cercle vicieux qui va s'enclencher avec des pertes d'emplois, des charges supplémentaires pour les CPAS, des impacts négatifs sur le marché de l'immobilier...
La discussion se fait alors plus politique. Aux yeux du président du tribunal de l'entreprise, les élus bruxellois doivent prendre conscience que
si rien n'est fait, la Région-Capitale, déjà confrontée à une crise des dépenses, devra faire face à une crise des recettes, tant les entreprises génèrent des revenus fiscaux pour les différents niveaux de pouvoir. C'est un cercle vicieux qui va s'enclencher avec des pertes d'emplois, des charges supplémentaires pour les CPAS, des impacts négatifs sur le marché de l'immobilier...
"Alors que la maison brûle, la question de la couleur de l’uniforme du pompier n'a pas d'importance.
Il faut un gouvernement de plein exercice", martèle Paul Dhaeyer, qui considère qu'il y a des mesures à prendre à Bruxelles et au Fédéral qui peuvent inverser la vapeur.
Exemple tout simple à Bruxelles: le gouvernement sortant, sous l'impulsion de la secrétaire d'État à la Transition Barbara Trachte (Ecolo), avait décidé de prendre en charge 75% des coûts d'une médiation d’entreprise et d'une procédure de réorganisation judiciaire pour les entreprises en difficultés. "Avec un rapport coût-bénéfice largement favorable, cette mesure a permis de sauver une centaine d'entreprises.
Mais le dispositif s'est terminé fin 2024, faute d'un nouveau gouvernement", déplore le président du tribunal de l'entreprise francophone de Bruxelles.