Pénuries et sévères hausses de prix vont frapper les supermarchés
Tarifs jusqu’à 20 % plus élevés, rayons vides, spectre de la fermeture de magasins franchisés… La grande distribution va subir de plein fouet les effets conjugués du covid et de la guerre en Ukraine, prévoit Gondola.
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Dans le paysage orageux de la grande distribution, les discounteurs pourraient tirer leur épingle du jeu, estime Silvie Vanhout, directrice de la Gondola Academy. - Hatim Kaghat
Journaliste au service Economie
Par
Julien Bosseler
Publié le 16/03/2022 à 20:21 Temps de lecture: 6 min
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n les redoutait. Les voici clairement annoncés. D’ici quelques semaines, les conséquences de la guerre en Ukraine, couplées à celles préexistantes la crise sanitaire, se feront nettement ressentir par les consommateurs dans les supermarchés. Hausse de prix et pénuries de certains produits alimentaires sont à nos portes, annonce Silvie Vanhout, responsable de la Gondola Academy, qui forme depuis 10 ans des spécialistes de la vente et du marketing actifs dans la distribution et dans la production de biens de consommation à haute rotation (FMCG). Experte de la grande distribution, la fondatrice de la Gondola Academy fonde ses prévisions sur ses propres observations, sur les confidences d’acteurs de terrain, ainsi que sur des chiffres du marché perturbé par la hausse folle des prix de l’énergie et par la menace de manques de matières premières.
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Vers certains rayons vides
C’est du jamais vu, assure l’experte : alors qu’une partie des négociations annuelles entre fournisseurs et distributeurs est toujours en cours – des partenaires jouent les prolongations –, certaines ont recommencé à cause de l’emballement des prix, non seulement de l’énergie et des matières premières mais aussi des emballages et des transports. « Les distributeurs reviennent vers leurs fournisseurs car ils jugent intenables les prix négociés – logique, aucune enseigne ne veut être la première à augmenter ses prix. Et les producteurs en font de même. Certains d’entre eux – par exemple Lotus avec Colruyt Group – refusent même de fournir leurs produits au tarif convenu car ils seraient contraints de les vendre à perte en raison de leurs coûts supplémentaires. Les grandes marques internationales ont pris davantage de pouvoir : elles peuvent déplacer leurs ventes dans d’autres chaînes ou dans d’autres pays pour obtenir de meilleurs prix. »
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A côté de ces variations tarifaires, pour lesquelles notre système de distribution n’est pas conçu, s’ajoutent des problèmes d’approvisionnement qui compromettent la production de certains aliments transformés. Cela concerne tout ce qui est fabriqué à base d’huile de tournesol, comme les chips, les frites, des sauces, des pâtes à tartiner, des biscuits. Sont aussi visés des aliments contenant de la gélatine comme les bonbons et les confitures. « Faute de matières premières et d’accord sur les prix, nous allons, d’ici quelques semaines, être confrontés à des rayons vides dans les supermarchés. Environ 40 % de l’assortiment est potentiellement concerné », prévient Silvie Vanhout « Les chaînes de magasins, qui ont peur de linéaires dégarnis, réagiront en remplaçant des références de marques nationales par leurs produits maison. » Mais cela ne s’opérera pas d’un claquement de doigts.
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Jusqu’à 20 % plus chers
C’est inévitable, selon Silvie Vanhout rejoignant d’autres observateurs : le ticket de caisse va gonfler à panier inchangé. Cette hausse tarifaire dans le FMCG alimentaire est déjà en cours depuis le début de cette année. Cela se reflète dans l’indice des prix à la consommation de Statbel. De son côté, le bureau d’études Nielsen a relevé une inflation de 2 % dans le secteur le mois dernier par rapport à février 2022. « Et cela va continuer », assure la directrice de la Gondola Academy. « Nous allons atteindre une hausse des prix 5 à 10 % pour l’ensemble de l’année. Pour les produits touchés par les plus fortes hausses tarifaires et par les pénuries de matières premières, comme le blé et le tournesol, cela grimpera +15, voire +20 %. Le haut de la fourchette sera certainement atteint si nous connaissons un nouvel été catastrophique pour l’agriculture. »
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A quand ces hausses sévères ? Vite et insidieusement… « Elles arriveront catégorie par catégories. Les céréales, puis les biscuits, puis les bières… Et on se rendra compte à un moment donné que le ticket de caisse sera beaucoup plus élevé. C’est déjà le cas pour certaines familles de produits comme le thé et le café (+3,5 %) ». Consolation : les produits frais locaux, comme les fruits et les légumes, y compris ceux chauffés en serre, pourraient être épargnés, jusqu’à un certain point, par cette inflation galopante. « Nous verrons aussi un écart de prix de plus en plus important entre les marques nationales et celles de distributeurs », ajoute Silvie Vanhout. « Ce sera un avantage pour les discounters comme Lidl et Aldi dont l’assortiment comporte davantage de marques propres. Cela pourrait même leur permettre d’augmenter leur chiffre d’affaires. Par ailleurs, on pourrait assister à des augmentations de prix moins importantes en Flandre en raison de la présence d’Albert Heijn et de Jumbo », deux enseignes néerlandaises pas (encore) actives à Bruxelles et en Wallonie.
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Des promos comme parades
Bien consciente que les consommateurs ont moins de budget pour leurs courses à cause de la hausse tarifaire de l’énergie, la grande distribution va riposter. « Pour continuer à attirer du monde, les supermarchés réaliseront beaucoup de promotions », prévoit Silvie Vanhout. « C’est déjà le cas pour des produits d’entretien ménager, ainsi que d’hygiène et de beauté. Ces articles non alimentaires, au prix plus élevés que les autres dans le caddie, pèsent sur le ticket de caisse. » Les distributeurs pourraient ne pas s’arrêter en si bon chemin. « Même pour les produits les impactés par la situation actuelle, les distributeurs tenteront d’obtenir des promos en exerçant une pression accrue sur les marques nationales », prédit la responsable de la Gondola Academy. « Mais ne perdons pas de vue que ce sont les fabricants qui payent les promos… Et que sans produit, on n’écrase pas les prix… »
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Des franchisés menacés
Le réseau belge de supermarchés risque de ne pas sortir indemne des turbulences qu’il va traverser. « Des franchisés de grandes enseignes, déjà en difficulté avant le covid, se retrouvent à nouveau dans le pétrin : ils ne parviennent plus à payer leurs factures de gaz et l’électricité ». Celles-ci sont lourdes, vu les grands espaces à chauffer, sans oublier les grosses sources de consommation électrique que représentent des équipements comme les frigos. A cela s’ajoutent les hausses salariales… Pourtant, la pandémie a rimé avec profit pour la grande distribution. « Elle a juste permis aux franchisés endettés de diminuer leur passif. Mais, en deux ans, ils n’ont pas pu constituer de réserves. N’oublions pas que, dans la distribution alimentaire, les marges sont assez basses. »
En conséquence, « beaucoup de distributeurs disent déjà qu’ils vont perdre des magasins de tout format, surtout des franchisés dans l’incapacité de payer leurs factures. Ils ne citent pas de chiffre, eux dont la stratégie, encore aujourd’hui, reste d’ouvrir sans cesse plus de magasins dans un pays disposant d’un des réseaux les plus denses d’Europe ». La réduction de voilure semble fatale, d’autant que la grande distribution perd une part croissance du budget des consommateurs au comportement changeant, au profit des boîtes-repas, des livraisons de restos à domicile ou encore des spécialistes du bio.
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