Playoffs 1 Le Sporting a conquis son 31e titre en 65 ans face à Bruges (1-1) Un titre entre évidence et paradoxe
BERTI,CHRISTOPHE
Lundi 7 mai 2012
Forcément Anderlecht...
Anderlecht. Encore Anderlecht. Forcément Anderlecht. Même si, l’été dernier, les suiveurs ont d’abord pointé le FC Bruges comme favori parce que le duo Verhaeghe-Mannaert avait redessiné la majeure partie du noyau dès le printemps, très vite, il est apparu que le Sporting bruxellois était le grand – pour ne pas dire l’unique – prétendant au titre. Un titre aujourd’hui logiquement en poche.
Après les playoffs catastrophiques de l’an passé, la direction bruxelloise a en effet réagi, comme toujours, en sortant le portefeuille. Pour garder Juhasz, Biglia et Suarez, d’abord, pour engager Molins, Vargas, Safari et surtout le couple infernal Mbokani-Jovanovic, ensuite. Alors que Genk était en pleine (dé-)construction, alors que le Standard changeait de propriétaire, alors que Sollied se cherchait une défense à Gand, alors que Koster tournait en rond à l’Olympiapark, Anderlecht est vite apparu comme une invincible armada, au niveau belge, s’entend.
C’est là la première leçon de ce titre. Anderlecht renaît toujours de ses cendres. C’est la règle de base du football belge. Certes, la gestion sportive du Sporting est parfois curieuse, elle suscite commentaires et quolibets, mais au final, le club bruxellois est tout simplement l’un des plus stables d’Europe. 31 titres en 66 saisons (15 lors des 30 dernières années, 10 lors des 20 dernières, 5 lors des 10 dernières : une précision à faire pâlir d’envie un horloger suisse), 4 présidents depuis 100 ans, 2 managers lors des 30 dernières saisons, le même sponsor sur le maillot et le même équipementier depuis trois décennies : personne ne peut fournir un tel carnet de stabilité sur le Vieux Continent, même pas Barcelone ou Milan. Dans un milieu aussi volatil, versatile, inconstant et fragile que celui du ballon rond, Anderlecht apparaît comme l’une des dernières références, presque un ovni dans un monde qui n’existe plus vraiment depuis que le foot-business, les oligarques russes et les princes arabes ont tout bousculé à coups de pétrodollars. Chapeau bas au Sporting, donc.
Chapeau aussi au groupe de joueurs qui a résisté à la pression de juillet à mai, alors qu’il avait tout à perdre et pas grand-chose à gagner. En fait, les « stars » de l’équipe se sont succédé durant la saison pour faire la différence. Jovanovic et Suarez d’abord, Gillet ensuite, Mbokani enfin. Des vedettes entourées par quelques grognards dont on ne soulignera jamais assez l’importance : Juhasz, l’homme clé d’Anderlecht à nos yeux, Kouyaté, la révélation de l’année en défense centrale, et Proto, le seul Mauve vraiment régulier de bout en bout.
Mais, et c’est la deuxième leçon de ce 31e titre, supporters et suiveurs ont un goût de trop peu en bouche. Le paradoxe n’est pas banal. Anderlecht a gagné 24 de ses 38 matchs de championnat, pour 4 défaites seulement et 74 buts inscrits. Le Sporting a refilé 6 buts à Bruges, 8 au Standard, 9 à Gand, 10 à Genk et il n’a été battu qu’une fois en six mois ! Des chiffres pour le moins impressionnants, à propos desquels on crierait au génie pour n’importe quel autre club du Royaume, mais pourtant, beaucoup ont l’impression qu’Anderlecht est un « petit champion ». Pourquoi ? Parce que son niveau de jeu n’a pas été toujours à la hauteur de son noyau (si le Sporting était flamboyant à l’automne, il est plutôt poussif au printemps), parce que trop souvent, il a dû s’en remettre au bon vouloir d’une de ses vedettes pour faire la différence. Parce que le système des playoffs lui est… défavorable : aucun club n’a autant de pression qu’Anderlecht durant la phase classique et puis on divise les points par deux pour remettre les autres en course. Parce que, aussi, Anderlecht a parfois brouillé son image : le cynisme d’Ariël Jacobs, qui n’est qu’une protection maladroite d’un gentleman transformé par la pression, fait du tort au Sporting. Comme l’attitude de la direction dans l’affaire Wasilewski et le rendement en dents de scie de plusieurs joueurs, comme
Jovanovic. Et donc, ce mélange particulier pour un club transformé en volcan permanent où une seule défaite est synonyme de crise et où la victoire n’est pas belle si la manière n’est pas au rendez-vous, fait qu’Anderlecht est parfois sifflé par son public.
Roger Vanden Stock doit sans doute trouver les commentaires de la presse et des supporters injustes, lui qui a toujours réinvesti l’argent des recettes dans le projet sportif (qui peut en dire autant en Belgique ?). Injustes ? Non. Durs et exigeants ? Oui. Anderlecht est un club à part, géant en Belgique et nain en Europe, qui doit se battre chaque jour avec le souvenir de sa grandeur passée et l’espoir d’un futur radieux. Avec la difficulté de garder ses meilleurs joueurs et donc la nécessité de reconstruire en permanence sans un instant de patience de la part des suiveurs et de ses partisans.
C’est difficile à vivre au quotidien, c’est usant pour les dirigeants, les entraîneurs et les joueurs, mais c’est la marque de fabrique du club. On ne sait pas ce matin si Jacobs sera encore là à la reprise, si Suarez, Juhasz ou même Proto auront résisté aux sirènes étrangères, si Anderlecht aura enfin trouvé l’arrière droit digne de ce nom qu’il cherche depuis 10 ans. Et pourtant, tout le monde attendra encore les Bruxellois au tournant sans rien leur pardonner. C’est la dure loi du Sporting : on en attend toujours plus. C’est pourtant le moteur de la réussite. Quand les dirigeants l’auront oublié, Anderlecht ne sera plus Anderlecht.
Au final, oui, ce titre est mérité. Mille fois. Mais il est aussi le symbole d’un championnat de qualité très moyenne où il a suffi aux Mauves d’être bons par intermittence pour distancer leurs concurrents directs. Ce matin, il faut donc féliciter Anderlecht et lui faire passer un message : pour progresser, on doit regarder vers le haut, pas vers le bas.