Face aux coups de boutoir contre les institutions fédérales, la persécution en cours des fonctionnaires, celle, naissante, des juges et une autre, imminente, des opposants politiques, une fronde judiciaire se met en place. Elle s’apparente déjà au dernier barrage réel contre l’émergence d’une «...
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Face aux coups de boutoir contre les institutions fédérales, la persécution en cours des fonctionnaires, celle, naissante, des juges et une autre, imminente, des opposants politiques, une fronde judiciaire se met en place. Elle s’apparente déjà au dernier barrage réel contre l’émergence d’une « présidence impériale », le régime autoritaire souhaité par Donald Trump. Article réservé aux abonnés
Le point de non-retour n’est pas encore atteint, mais l’Amérique s’en approche, inexorablement. Depuis l’entrée en fonction du 47e président des Etats-Unis, le 20 janvier dernier, les manquements quotidiens au respect de l’Etat de droit s’enchaînent à un rythme effréné, laissant présager une crise existentielle inédite pour la république vieille de 249 ans. Pêle-mêle, Donald Trump et son administration ont, d’un trait de plume, décidé l’abrogation de la citoyenneté de naissance (droit du sol), le gel des dépenses fédérales (le temps d’un audit confié à Elon Musk), la fermeture de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) accusée de favoriser corruption et criminalité avec l’argent du contribuable, la révocation des dirigeants d’autres agences et le licenciement d’employés du gouvernement soupçonnés d’appartenance à un soi-disant « Etat profond », et la menace d’expulser des personnes sur la base de leurs opinions politiques, fût-ce des centaines d’agents du FBI impliqués sur ordre dans l’enquête sur l’attaque du Capitole (6 janvier 2021).
« Nous sommes au milieu d’une crise constitutionnelle en ce moment », confie Erwin Chemerinsky, doyen de la faculté de droit de l’Université de Californie à Berkeley, au
New York Times. « Il y a eu tellement d’actions inconstitutionnelles et illégales au cours des 18 premiers jours de la présidence Trump. Nous n’avons jamais rien vu de tel. Les actes inconstitutionnels et illégaux systématiques créent une crise constitutionnelle. »
Le point d’ébullition, lui, est atteint. Progressant à marche forcée sur la voie de son programme électoral, Donald Trump vient d’encaisser coup sur coup six revers cinglants devant les tribunaux, et autant d’invalidations temporaires de ses décisions majeures : le droit du sol, maintenu par un juge du New Hampshire ; le gel des crédits pour la santé, refusé par un autre du Massachusetts ; la démission forcée des deux millions de fonctionnaires ayant reçu un courriel intitulé « la croisée des chemins (
a fork in the road) », idem, dans le Massachusetts ; le gel des dépenses fédérales, depuis Rhode Island ; l’effacement de toutes les données sur les sites des centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) et du ministère de l’agroalimentaire (FDA), à Washington D.C. ; et le limogeage du directeur de l’éthique gouvernementale (OGE), David Huitema, également à Washington.
Jamais, dans l’histoire des Etats-Unis, un tel bras de fer n’avait opposé un président en exercice et le système judiciaire. Jamais non plus un locataire du Bureau ovale n’avait manifesté autant de dédain envers l’équilibre des pouvoirs. « C’est une crise constitutionnelle lorsque le président des Etats-Unis n’accorde aucune attention à ce que dit la Constitution, même lorsque le Congrès ou des tribunaux s’opposent à une action anticonstitutionnelle », commente Pamela Karlan, professeure de droit à l’Université Stanford, en Californie. « Jusqu’à présent, même si les présidents pouvaient se livrer à des actes jugés anticonstitutionnels, je n’ai jamais vu un président pour qui la Constitution n’avait aucune importance. »
Une inconnue demeure
L’attribution des budgets, la répartition des crédits entre les agences gouvernementales et la pérennité constituent une prérogative du Congrès, d’ores et déjà piétinée par l’exécutif. « Un certain nombre de décrets et d’autres mesures prises par la nouvelle administration sont en violation flagrante des lois promulguées par le Congrès », opine Kate Shaw, professeure de droit constitutionnel à l’Université de Pennsylvanie. « Les premières mesures prises par l’administration semblent également destinées à démontrer un mépris maximal pour les valeurs constitutionnelles fondamentales – la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression, l’égalité de tous devant la loi. »
Une inconnue demeure : que se passera-t-il si Donald Trump maintient ce mépris à l’encontre des tribunaux fédéraux, voire de la Cour suprême, si celle-ci venait à conforter l’avis des juges ? Un premier juge tire la sonnette d’alarme : John McConnell Jr., à Rhode Island, s’est ému que l’administration Trump ignore l’arrêt lui enjoignant de mettre fin au gel des dépenses fédérales. Ledit juge a cependant choisi, pour le moment, de ne pas envenimer la situation en déclarant l’exécutif coupable d’outrage aux tribunaux. La situation similaire au sein de l’agence Usaid et du Bureau de protection financière des consommateurs (CFPB), dont les portes demeurent fermées et les milliers d’employés placés en chômage technique et l’exposition des données sensibles de millions d’Américains par le comité Doge (efficacité gouvernementale) d’Elon Musk, portent en germe une escalade probable entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, à mesure que s’empilent les plaintes de syndicats. La confrontation ne fait pourtant que commencer. Donald Trump et son binôme, Elon Musk, n’ont pas encore tourné leurs regards vers les autres cibles prioritaires de leur sinistre jeu de chamboule-tout : le Pentagone et l’Education.