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Bavure à la police de Bruxelles (29/09/2005)
© DEMOULIN
La justice soupçonne une volonté d'étouffer l'affaire
BRUXELLES Le parquet de Bruxelles enquête sur une tentative d'étouffement d'une bavure à la police de Bruxelles-Capitale-Ixelles. L'affaire est à l'instruction chez le juge Van Espen. Une reconstitution a été organisée dans les garages de la police. Pendant toute une journée, deux policiers de PolBru ont été privés de liberté. Inspecteur général de PolBru, le divisionnaire Yves C. a été perquisitionné, ainsi que son second, le commissaire Olivier V., ancien chef de la brigade judiciaire d'Ixelles.Chef de zone, Roland Vanreusel estime que le parquet prête à sa police des intentions qu'elle n'a jamais eues, et met en garde: «L'excès nuit en tout et peut mener à l'abus de pouvoir». Réponse du parquet de Bruxelles: «Nous ne voulons pas que se répète à Bruxelles une situation de type Rupel (10% des policiers inculpés ou en prison, NdlR). Au moindre soupçon, on vérifie. Et si nous ne trouvons rien, nous sommes soulagés.»
Menottés dans le dos
21 décembre 2004: 50.000 manifestants dans le centre-ville de Bruxelles dont quatre se font embarquer, boulevard Lemonnier, dans un camion Iveco. Direction Marché- au-Charbon. L'un d'eux, Marc Serfilippi, 1 m 98 et 116 kg, menotté, dit avoir été passé à tabac. Un autre, Luc Flasse, également menotté dans le dos, est tombé du camion, face à terre. Dans une version, on l'a poussé du haut de l'Iveco.
Luc Flasse pisse du sang. Dans une version, les policiers préfèrent ne pas appeler les secours, mais une inspectrice désobéit et appelle le 100 avec son GSM. Luc Flasse est vu et soigné à la clinique Saint-Jean puis reconduit au commissariat où une commissaire, Mme K. D., lui fait signer un P.-V. qui dit en substance qu'il ne s'est rien passé et qu'il est tombé tout seul.
Nous avons rencontré Luc Flasse qui a 40 ans et est ouvrier à Tertre. Il nous affirme qu'il se trouvait dans un tel état qu'il a effectivement signé ce P.-V. 150609/04 qui ne correspond pas du tout à ce qui s'est passé, un faux, donc. Ce P.-V. signé, Luc Flasse est mis en cellule, il vomit, il est ramené à Saint-Jean et hospitalisé pour commotion cérébrale, ce qui montre l'état dans lequel il pouvait se trouver quand la commissaire lui a fait signer ce P.-V. qui dit qu'il est tombé tout seul de l'Iveco. Dix mois après, Luc Flasse a reçu la facture de ses dents cassées: 6.400 €. Entre-temps, la policière qui a tout vu depuis le début rédige un P.-V. qu'elle adresse au premier substitut Mawet. En quelques mois, c'est au moins la troisième fois que le magistrat a des doutes sur cette façon de procéder de PolBru.
Réinterrogé par le comité P, Luc Flasse à qui l'on montre le premier P.-V. explique que ce n'est pas comme cela du tout que les choses se sont passées. A ce moment, PolBru ignore encore que le parquet est informé de l'intérieur par un collègue qui a l'aval du substitut Mawet. Une nuit, à 2 h du matin, ce policier prive de liberté ses deux collègues qu'il soupçonne d'avoir poussé Flasse dans le dos. Reconstitution à grand spectacle le jour même et, finalement, les deux policiers ne sont pas arrêtés.
Entre-temps, le policier de PolBru qui enquête de l'intérieur intercepte - selon PolBru: vole - dans le tiroir de son chef Olivier V. un e-mail dont l'interprétation est discutée.
Selon les uns, l'e-mail rédigé par l'inspecteur général C. peut s'interpréter comme une combine pour étouffer l'affaire. PolBru connaît ses amis, y compris des magistrats au parquet général sur lesquels il peut compter. Selon le chef de zone Roland Vanreusel, cette interprétation est fausse, diffamatoire et préjudiciable en ce qu'elle crée le trouble au sein du personnel. «C'est évident qu'une reconstitution telle qu'elle a été faite et que des perquisitions au contrôle interne discréditent le service. Je dis que l'excès nuit en tout et peut mener à l'abus de pouvoir. Cela s'applique à tout le monde.»
"Les pommes pourries, on les jetera dehors"
BRUXELLES Dans cette enquête, nous avons rencontré le manifestant Fgtbiste Luc Flasse - dont la justice devra dire s'il a ou non été poussé du haut d'un Iveco alors qu'il était menotté dans le dos. Le parquet a été contacté et le commissaire en chef Roland Vanreusel, de la police de Bruxelles-Capitale-Ixelles, a accepté de répondre aux questions.
Avec des limites, regrette-t-il: ces affaires font l'objet de trois dossiers (dont un à l'instruction). Pour le premier substitut Jos Colpin, deux des trois dossiers mettent en cause six personnes et Roland Vanreusel trahirait son secret professionnel en s'exprimant à ce sujet. Pour autant, le patron du corps de police locale le plus peuplé du pays dit tout haut qu'il s'inquiète des procédés du parquet qui progresse dans ces dossiers sans passer par son intermédiaire: «Le parquet fait cavalier seul. Il travaille avec un inspecteur de notre contrôle interne, ce qui est contraire à l'article 44 de la loi sur la police intégrée qui fixe les prérogatives du chef de corps. Depuis dix mois, le substitut et ce policier jouent à deux, en bilatéral, sans que j'en sois avisé. La situation crée un trouble dans la direction des interventions ainsi qu'au sein du corps de police.»
Pour Roland Vanreusel, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de volonté d'étouffer des affaires: «Qu'il y ait des pommes pourries, oui, on les trouvera et on les jettera dehors». Et de livrer ces chiffres: sa police, la première du pays, compte exactement 2.442 policiers. En 2004, 80 sur 2.442 ont eu des problèmes divers: 51 ont fait l'objet d'une mesure d'observation, 12 ont reçu un avertissement, 10 ont reçu un blâme, 6 ont été suspendus et 1 a été révoqué. En 2005 - et nous ne sommes qu'en septembre -, déjà 124 policiers ont eu à s'expliquer. 74 ont fait l'objet d'une mesure d'observation, 21 ont reçu un avertissement, 19 ont reçu un blâme et 10 ont été suspendus.
Tout est relatif. Pour Vanreusel, ces chiffres sont relativement satisfaisants: les 2.442 policiers sont eux-mêmes contrôlés par 21 collègues qui ne leur passent rien. Roland Vanreusel ne cache pas: «Je suis fier de mon corps de police». Et c'est vrai que, très globalement, cette police fait nuit et jour, 24 h sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an un travail fabuleux au service du public.
© La Dernière Heure 2005
Gilbert Dupont