Hormis pour le fisc, cohabitation légale n’égale pas mariage
ELISE GOOSENS
chargée de cours en droit privé à la VUB
Si l’on excepte l’impôt des personnes physiques, les cohabitants légaux et les couples mariés ne sont pas égaux dans la plupart des domaines du droit.
Avez-vous déjà rempli votre déclaration d’impôts? Vous aurez peut-être remarqué que les cohabitants légaux doivent déposer une déclaration commune, tout comme les couples mariés. Le fisc contribue ainsi à entretenir un mythe tenace: la cohabitation légale et le mariage sont équivalents sur le plan juridique.
C’est exact pour l’impôt des personnes physiques. Mais pas pour la plupart des autres domaines du droit. Des personnes dont le cohabitant légal est décédé des suites d’un cancer lié à l’amiante ou suite aux attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, ont ainsi découvert qu’elles n’ont aucun droit à une indemnisation. Elles ont par ailleurs des droits successoraux moins étendus que les conjoints mariés, même si elles bénéficient néanmoins, selon les régions, du même tarif de droits de succession. Rien d’étonnant, donc, à ce que le citoyen ne s’en sorte plus.
Le nœud du problème
En instaurant la cohabitation légale en 1998, le législateur a voulu faire d’une pierre deux coups. D’une part, la cohabitation légale donnait aux couples holebi la possibilité de formaliser leur relation, à une époque où le mariage n’était ouvert qu’aux couples hétérosexuels. D’autre part, la cohabitation légale offrait également une solution aux personnes qui avaient la possibilité de se marier, mais qui ne le voulaient pas. En concevant la cohabitation légale, et afin de souligner sa différence avec le mariage, le législateur n’est donc pas tant parti du principe du contrat, que celui de la relation amoureuse.
Dans l’idée du législateur, la cohabitation doit pouvoir s’appliquer aux couples, mais aussi à une mère et son fils, ou même à deux amis. Les parties prenantes ont très peu d’obligations l’une envers l’autre, même financièrement. Il peut être mis fin à la cohabitation légale par une simple déclaration à l’état civil. En d’autres termes: pas de procédure de divorce devant les tribunaux.
Ce modèle de cohabitation légale au rabais a bien vite été rattrapé par la réalité. Cela fait des années que la popularité de la cohabitation légale s’accroît à un rythme effréné. Cette progression s’explique par les nombreux avantages qui ont été liés depuis lors à ce statut, notamment sur le plan fiscal. Néanmoins, le législateur a oublié qu’en donnant forme à la cohabitation légale, il a refusé de s’inspirer du mariage. Il en résulte que la cohabitation légale a toujours des implications très limitées pour les partenaires eux-mêmes. C’est pourquoi l’on compare parfois la cohabitation légale à un donut: vide de substance à l’intérieur, mais avec un fin pourtour d’engagements vis-à-vis de l’extérieur.
Aucune obligation financière mutuelle
Cette absence d’engagement entre les partenaires de la cohabitation légale explique peut-être le succès de celle-ci. Mais la médaille a aussi son revers. La liberté de la cohabitation légale entraîne souvent l’insolvabilité en cas de rupture ou de décès. En effet, à l’issue de la cohabitation légale, les partenaires ne se partagent pas le patrimoine constitué et ils ne reçoivent aucune pension alimentaire. Puisque les cohabitants légaux n’ont aucune obligation financière l’un envers l’autre, l’État estime n’avoir aucune obligation financière dérivée envers eux. C’est pourquoi les cohabitants légaux n’ont pas droit à une pension de survie ou à une indemnisation après un accident du travail. Pour le citoyen, une période difficile s’accompagne ainsi de graves problèmes financiers.
Différents gouvernements ont promis une amélioration du régime en place. Le gouvernement De Croo a réitéré ces promesses. Mais rien ne bouge pour l’instant. Deux mesures s’imposent. Premièrement, la cohabitation légale doit être réservée aux couples. La cohabitation légale entre membres de la famille ou entre amis est un accident de parcours, qui empêche de revaloriser cette cohabitation pour en faire une relation à part entière. Deuxièmement, le législateur doit remplir le trou du donut. Il faut instaurer un minimum de solidarité financière entre les cohabitants légaux, ce qui pourra alors conduire à des droits dérivés sur le plan fiscal et social. De cette façon, la déclaration fiscale commune reflètera la réalité juridique et financière.
Par Elise Goosens, chargée de cours en droit privé à la VUB, professeure invitée à l’Université d’Anvers et membre du Groupe du Vendredi.