Georges-Louis Bouchez: «Exclure les chômeurs de longue durée qui refusent un métier en pénurie»
Le président du MR définit ses cinq priorités pour la réforme du marché du travail. Un droit à la reconversion, une flexibilité durant la journée de travail, mais aussi des sanctions contre les sans-emploi qui refusent de se former à un métier en pénurie.
ENTRETIEN
De grosses réformes sont sur la table de la Vivaldi en cette rentrée politique. Les pensions, le marché du travail, la sortie du nucléaire… Le président du MR est sur la balle, bien décidé à défendre sa vision libérale de l’emploi, de la retraite ou de l’énergie. Et il vient, lui aussi, avec son plan « travail », du moins cinq priorités en la matière, depuis la problématique des métiers en pénurie jusqu’à la flexibilité, en passant par ce qu’il appelle « la démocratie en entreprise ». Voici la rentrée en mode socio-économique de Georges-Louis Bouchez. De quoi alimenter le débat au sein du gouvernement De Croo…
D’emblée, il fait le lien avec l’actualité du jour : la réforme des pensions (
avec sa réaction à la note de la ministre Lalieux). Car, argumente-t-il, « l’emploi a un impact sur les pensions : le type de carrière que vous menez, les possibilités d’aménager vie privée et vie professionnelle, la pénibilité du travail, tout cela a un impact sur la pension, sur le nombre d’années travaillées ou non. Le PS essaie de corriger, via la pension, des faiblesses du marché du travail, mais attaquons-nous plutôt aux éléments qui pénalisent différentes catégories de la population sur le marché du travail. »
Mais vous pointez aussi un élément qu’on n’avait plus guère entendu depuis le covid : la contrainte budgétaire ?
Aujourd’hui, la situation budgétaire inquiète, quoi qu’on en dise. Il faut distinguer deux choses : la dette et le déficit. Le danger réside dans notre incapacité à réduire le déficit structurel. Car, là, on va commencer à être dans l’œil du cyclone, avec des risques de baisse de notre cotation, et donc une augmentation de nos taux d’intérêt. On peut vivre avec un certain volume de dette mais pas avec un déficit trop important.
Donc plutôt qu’investir massivement, vous dites qu’il faut revenir à une réduction du déficit ?
Oui.
Dès cette année ?
Le plus rapidement possible ! Pourquoi dépenser pour le plaisir ? Paul Magnette nous explique que le gouvernement doit investir. Pourquoi ? Je veux bien faire des investissements mais il faut des investissements productifs et dans des secteurs stratégiques. On nous dit qu’il faut investir pour créer de l’emploi et remettre l’économie à niveau mais, selon le rapport de la Banque nationale, on va revenir au niveau économique d’avant-crise en un ou deux ans. Tous les paramètres économiques nous montrent que les investissements reprennent et que finalement l’économie n’a pas besoin qu’on continue à injecter des moyens. Je ne suis pas dans cette logique socialiste qui consiste à dépenser parce que l’économie en aurait besoin. Le plan de relance de Thomas Dermine va créer 4.000 emplois ; pour 5 milliards ? Cependant, ce que je vise principalement, c’est le déficit structurel, à savoir les dépenses annuelles de l’Etat.
Il faut encore dégraisser l’Etat ?
Il y a encore beaucoup de doublons et d’inefficacité au niveau de l’Etat.
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Au-delà du budgétaire, quelles sont vos priorités pour la réforme du marché de l’emploi ?
Selon nous, il y a cinq éléments fondamentaux. Le premier, c’est la question des métiers en pénurie. Il y a 125 métiers en pénurie en Wallonie mais plus de 200.000 chômeurs. Il faut promouvoir beaucoup plus la formation en alternance et permettre à des entreprises de participer à des formations. Si le Forem se sent à ce point dépourvu, on pourrait octroyer une partie du budget de la formation du Forem directement aux entreprises à qui on fixerait des obligations de résultat. Il faut aussi travailler sur la sanction envers les personnes qui refusent une formation ou un métier en pénurie. Un chômeur de longue durée (plus de deux ans) qui refuserait deux formations et/ou deux emplois dans un métier en pénurie doit pouvoir être directement sanctionné. Sanction mais aussi motivation, avec une prime à ceux qui se mettent à l’emploi, comme le propose Willy Borsus.
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Quelle sanction ?
Une exclusion du chômage, avec une activation qui peut continuer à se faire au niveau du CPAS. Et avec des sanctions également sur le RIS (revenu d’intégration sociale, NDLR) en cas de maintien de situation non active ou de refus de rentrer dans cette logique des métiers en pénurie.
Quelle que soit la différence entre la formation de départ et le métier proposé ?
Le Forem doit jouer son rôle en proposant une formation intéressante pour la personne. Mais quand vous avez 125 métiers en pénurie, il y a moyen de trouver son compte. Maçon, métiers de l’horeca, chauffagiste, électricien, serrurier… Est-ce mieux de tomber dans un chômage de longue durée que de se former à un emploi qui n’était peut-être pas l’emploi d’origine ou de rêve ? Travailler, ce n’est pas une sanction. L’Etat a besoin de ces demandeurs d’emploi parce que si on ne remplit pas ces 125 métiers en pénurie, on a des difficultés sur le plan budgétaire, dans la capacité de développement de nos entreprises, dans la réponse aux défis environnementaux ou technologiques. Oui, il va falloir se faire un peu violence dans certains cas. L’Etat ne peut plus vous venir en aide si vous ne lui venez pas en aide.
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Cela vaudrait pour tous les âges, même les chômeurs de plus de 50 ou 55 ans ?
On doit avoir une acuité plus grande sur les plus jeunes pour éviter la reproduction sociale et les carrières de chômage.
Venons-en à votre deuxième proposition.
C’est l’idée de créer plus de démocratie au sein de l’entreprise. Quand l’entreprise veut procéder à certains changements, on voudrait offrir une fenêtre de négociations avec les syndicats et, au terme de cette fenêtre, s’il n’y a pas d’accord, il y aurait la possibilité pour l’entreprise de lancer un référendum en son sein. C’est une manière de s’adresser directement aux travailleurs et de créer beaucoup plus de cohésion en rentrant dans une logique de démocratie participative.
C’est surtout une manière de contourner les syndicats…
Non, c’est une logique qui permettrait aux travailleurs de se sentir beaucoup plus concernés et de s’exprimer de manière plus directe. Notre troisième proposition, c’est ce qu’on appelle un droit à la reconversion. Après 10 ans de carrière, on voudrait que le travailleur ait l’opportunité de démissionner. Pour une période de 18 mois pendant laquelle il serait possible de percevoir des allocations de chômage limitées. Pour souffler, pour éviter le burn-out, pour trouver un autre emploi, créer le sien, se former. C’est le droit, à un moment donné, de retrouver de la liberté dans votre carrière, de ne pas être enfermé dans le tunnel.
N’y a-t-il pas un paradoxe : d’un côté, vous offrez à un travailleur la liberté de choix, de l’autre vous le sanctionnez s’il refuse un métier en pénurie ?
Ce n’est pas antinomique. Celui qui a travaillé et cotisé pendant dix ans doit pouvoir être récompensé par la possibilité de changer. Dans le premier point, l’Etat vous vient en aide, et donc vous devez être en capacité de répondre à l’aide qui vous a été faite. Il y a un équilibre entre les deux propositions : d’un côté, renforcement de sanctions face à des situations que l’on estime abusives ; de l’autre côté, donner de l’air à ceux qui font des efforts. C’est un principe de justice et d’équilibre entre les droits et les devoirs.
Vous remettez aussi l’accent sur la fraude sociale.
C’est notre quatrième point. Durant la crise covid, on s’est retrouvé avec toute une série de personnes qui ne bénéficiaient d’aucune aide parce qu’elles avaient des activités non déclarées. Quand on est face à plusieurs refus d’emploi ou de formation, il faut des contrôles accrus sur le patrimoine, le niveau de vie, la résidence… pour mener une action réelle contre la fraude sociale. Enfin, nous souhaitons une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle en permettant un temps de travail réparti différemment sur la journée : pouvoir calculer son travail journalier, non plus sur 10 ou 12 heures mais sur l’ensemble de la journée, de manière à pouvoir faire un break pour aller chercher les enfants à l’école, par exemple ou pour un rendez-vous médical, et reprendre le travail plus tard, quand cela arrange, par exemple à 21 ou 22 heures. On propose de le tester lors d’une phase pilote dans la fonction publique.