"La stratégie de Paul Magnette est vraiment bizarre. Il a perdu son seul et unique argument contre son rival"
Dans son analyse de la situation politique, l'éditorialiste Isolde Van den Eynde estime également que "Georges-Louis Bouchez a commis une erreur politique énorme qui permet à Conner Rousseau de se frotter les mains".
15:10
Très présente sur les plateaux télévisés,
Isolde Van den Eynde est devenue l'un des visages du journalisme politique belge. Du haut de ses 38 ans, l'éditorialiste à
Het Laatste Nieuws use, dans ses analyses, d'un franc-parler qui plait. Tant au nord qu'au sud du pays. Interrogée dans le cadre de notre rendez-vous
"L'invité du samedi", la journaliste gantoise décrypte les tensions dans les négociations fédérales et elle revient sur les alliances entre le PS et le PTB dans plusieurs communes francophones.
On a vu Vooruit se retirer brièvement des négociations fédérales. Les socialistes flamands vont-ils finir par intégrer le futur gouvernement ?
Une négociation est un jeu d'échecs et, dès le début, Vooruit s'est donné le rôle du parti en position inconfortable,
réclamant que ce gouvernement soit centriste et non de droite. Ils n'hésitent pas à communiquer des désinformations, à travers des petites phrases, notamment sur les taxes sur les plus-values.
On sent qu'ils sont mal à l'aise, alors que Les Engagés et le CD&V, qui sont des partis centristes, sont à leurs côtés pour défendre certains dossiers, dont le financement des soins de santé. Les socialistes flamands ont même une alliance avec le MR pour se battre contre l'augmentation de la fiscalité. Mais, pour l'instant, Vooruit se sent suffisamment fort et
ose aller très loin dans ce jeu d'échecs pour voir qui va céder le premier.
Les autres partis accepteront-ils de pencher moins à droite sur le socioéconomique et l'aspect budgétaire ?
Je constate que les dossiers pour lesquels Vooruit se bat se trouvent déjà dans la note du formateur. La taxe sur les plus-values ou la réforme des pensions, par exemples, y figurent, mais
Conner Rousseau trouve que la note ne va pas assez loin et il réclame davantage de garanties. Or, Bart De Wever a-t-il reçu des garanties sur les aspects communautaires ou le fédéralisme ? Aucune ! Aucun parti ne peut affirmer qu'il se satisfait pleinement de cette note...
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Cette attitude dure depuis cinq mois ! Si Vooruit a juste joué un jeu en s'impliquant tout en sachant que ça ne marcherait pas, alors ils ont vraiment joué avec le destin de tous les Belges.
Conner Rousseau semble absent, très peu combatif. Quand
Bouchez avait mis un terme aux négociations en août, notamment à cause
de la taxe de 10 % sur les plus-values boursières, il a hérité du Zwarte Piet (
NdlR : "Valet noir" en français). Il s'était alors battu pour montrer qu'il ne voulait pas un crash de l'Arizona. Maintenant, c'est Rousseau qui dispose du Zwarte Piet, et la différence d'attitude est flagrante.
Sa force, c'est qu'il n'y a aucune majorité alternative sérieuse...
Effectivement. Je ne crois pas en une tripartite classique, sans la N-VA, car Bart De Wever est très investi, il fait des concessions et joue même le rôle - assez particulier - de sauveur de la Belgique. Et
remplacer Vooruit par l'Open VLD donnerait une majorité trop faible, de 76 sièges sur 150 à la Chambre. En plus, le CD&V et Les Engagés n'y sont
pas favorables. Pour une fois que les électeurs francophones et flamands ont donné un signal clair, c'est très bizarre de voir que ces politiques ne veulent pas servir d'abord les intérêts du pays. Ils pensent tous avant tout au bien de leur propre parti. Ils semblent ne pas encore avoir pris conscience de l'importance de la situation budgétaire de la Belgique...
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Les relations entre Bart De Wever et Conner Rousseau se sont-elles détériorées ?
Avant les communales, ils avaient un accord pour
tenter de former des majorités dans la plupart des grandes villes flamandes. Rousseau savait que ce serait très difficile à Louvain et
à Gand, car ces villes sont très progressistes, et la N-VA y est perçue presque comme un parti d'extrême droite. Cela s'est confirmé. A Gand, les membres de Vooruit
se sont opposés à la majorité avec la N-VA. Et De Wever a réagi à ce rejet de ses troupes avec beaucoup d'émotion. Il avait du mal à accepter une telle perception de son parti. Une tension est alors apparue entre les deux présidents. De Wever a estimé que Rousseau n'était pas un président assez solide et qu'il n'était pas capable de s'imposer au niveau local. Cela n'a pas empêché le formateur, depuis lors, à beaucoup parler avec Rousseau pour le convaincre de négocier.
[IMG alt="BRUSSELS, BELGIUM - AUGUST 21 : Elections 2024 : continuation of federal negotiations with Formator Bart De Wever (N-VA Chairman) , Conner Rousseau & Frank Vandenbroucke (VOORUIT) on August 21, 2024 in Brussels, Belgium, 21/08/2024 ( Photo by Didier Lebrun / Photonews
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Conner Rousseau est revenu ce jeudi autour de la table des négociations en vue de la formation d'une coalition Arizona ©DLE
Avant les négociations, on savait que Bart De Wever avait une piètre image de Georges-Louis Bouchez. Est-ce que ça a changé à présent ?
Si on pose la question à Georges-Louis Bouchez,
il répondra positivement (
rires). Mais, à mes yeux, il a commis une erreur politique énorme en rejetant la note de Bart De Wever fin août et forçant le formateur à démissionner. Il a cassé ce projet d'Arizona qui comptait beaucoup pour les libéraux et a donné un argument de taille à Vooruit qui peut se targuer de ne jamais avoir compromis à ce point le futur gouvernement. Pour ce qui est de Bart De Wever, il aime les partis qui gagnent. Dans le
documentaire qui lui est consacré et qui est diffusé actuellement dans les salles, on entend le président de la N-VA réagir aux 30% de Bouchez aux élections fédérales en disant que le libéral était déjà insupportable avec 20%. "
Ca va être pire à présent", ironise-t-il. Ce que De Wever n'aime pas chez le président du MR, c'est qu'il est difficile de savoir s'il va soutenir les accords conclus ou les descendre. Il a donc du respect pour Bouchez, mais il reste sur ses gardes.
Vu les difficultés actuelles, le président de la N-VA est-il toujours la bonne personne pour mener les discussions fédérales ?
Je comprends qu'après cinq mois, on se pose la question. Mais qui pourrait le remplacer ? Très peu de personnes autour de la table peuvent se vanter d'avoir la confiance de tous les négociateurs. Les relations entre les jeunes présidents de parti sont très mauvaises. Bart De Wever, lui, a une autorité naturelle. Aucun politicien n'a obtenu autant de voix que lui. Il a la force et le pouvoir de mettre sur pied une coalition et de mener le pays vers un avenir meilleur. Je ne crois pas, en tous les cas, à l'intervention d'une personnalité avec plus d'expérience comme Didier Reynders ou Johan Vande Lanotte dans les discussions. Ca n'a jamais abouti !
Mais Bart De Wever ne risque-t-il pas se lasser de cette mission, de plus en plus mouvementée ? D'autant qu'il répète fréquemment que son rêve n'a jamais été de devenir Premier ministre...
Il n'a pas du tout envie de donner le contrôle à quelqu'un d'autre. Il ne veut pas commettre la même erreur qu'en 2020, quand il avait perdu sa place à la table des négociations même si la N-VA était le plus grand parti de Belgique. Tant qu'il tient le gouvernail, il ne peut pas être mis de côté et, en plus, il peut influencer le contenu de l'accord, notamment sur le plan communautaire.
Au niveau communal, en s'alliant au PTB dans plusieurs villes, le PS a-t-il ouvert la boîte de Pandore ?
Certaines coalitions à Bruxelles étaient plutôt logiques...
A Molenbeek, il était impossible mathématiquement de faire une coalition sans le PTB. Et sur le contenu, en réalité, je ne vois pas de différence entre le PS de Catherine Moureaux, la Team Fouad Ahidar et le PTB. Ils ont les mêmes recettes pour les mêmes problèmes. Ils sont très communautaristes.
Paul Magnette ne se tire-t-il pas une balle dans le pied en rendant son principal adversaire fréquentable ?
Sa stratégie est vraiment bizarre ! Le PS a mis en avant pendant toute la campagne que le PTB ne prenait pas ses responsabilités et était incapable de faire des compromis, contrairement aux socialistes. Magnette a donc perdu son seul et unique argument anti-communiste. Cela fait dix ans que le PS dit que le PTB ne sert à rien. Or, ce n'est plus le cas...
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Comment ces coalitions avec l'extrême gauche sont-elles perçues au nord du pays ?
Personnellement, j'ai trouvé très arrogante la façon dont, au sud du pays, on a menacé la N-VA pendant toute la campagne d'être écartée de toute coalition fédérale si elle s'alliait au Vlaams Belang. Maintenant, on voit que le PS s'allie à l'extrême gauche, même
dans une grande ville comme Mons. En Flandre, on trouve Paul Magnette un peu hypocrite.
Cela vous choque-t-il autant de voir le PTB monter dans une majorité communale que le Vlaams Belang ?
Je ne suis choquée dans aucun des cas. Mais je suis peut-être plus surprise de voir le Vlaams Belang arriver à rejoindre une coalition au niveau local que le PTB. En Flandre, on avait déjà vu l'extrême gauche intégrer un conseil communal à Zelzate et Borgerhout. Mais le parti de Tom Van Grieken est allé très loin pour participer au pouvoir.
A Ranst, ils ont jeté à la poubelle tous leurs principes pour pouvoir monter dans la majorité. Je pense qu'au final, le Vlaams Belang voulait surtout pouvoir se vanter d'être aux responsabilités. Il en allait de même du PTB. Des anciens échevins du parti m'ont expliqué que personne ne se souciait de ce qu'ils faisaient, tout ce qui intéressait la formation politique était de pouvoir dire que le PTB gouvernait dans plusieurs communes.
Les négociations stagnent en région bruxelloise depuis les attaques du PS vis-a-vis du MR. Ahmed Laaouej a-t-il été trop loin en parlant de racisme concernant le refus des libéraux de laisser le mayorat de Schaerbeek au controversé Hasan Koyuncu ?
Vu leurs programmes respectifs, il est déjà remarquable qu'ils aient pu commencer à négocier en région bruxelloise. Le PS et le MR n'ont eu de cesse de s'attaquer dans la capitale. Le MR dit toujours que le PS est communautariste et, quelque part, il n'a pas tort. On sent vraiment que le discours est différent entre Paul Magnette en Wallonie et Ahmed Laaouej à Bruxelles. En ce qui concerne les accusations de racisme, Ahmed Laaouej a trop rapidement recours à cet argument. On se rappelle des débats sur les langues pour passer le permis de conduire à Bruxelles. Le PS voulait en ajouter cinq. Ce que les libéraux avaient refusé, arguant qu'il y avait déjà trois langues dans notre pays et qu'il fallait tout de même conserver l'identité belge. Les socialistes avaient alors taxé le MR de raciste. Cela m'avait vraiment surprise ! Le PS était allé trop loin. Parler de racisme à tout-va décrédibilise le terme.