Hausse des températures, multiplication des événements extrêmes...: voici le diagnostic accablant posé par le rapport du Giec
Hausse de la température terrestre, élévation du niveau de la mer, multiplication des « événements climatiques extrêmes »… L’état de santé de la planète et de son climat s’écrit au crayon rouge. Les chiffres et les pourcentages s’affolent. L’addition s’annonce salée.
Hausse des températures, multiplication des événements extrêmes...: voici le diagnostic accablant posé par le rapport du Giec
Par Pascal Martin
Journaliste au service Forum
Le 9/08/2021 à 10:00
DÉCRYPTAGE
La première partie du sixième rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est désormais connue. Elle conclut les débats des centaines d’experts issus des 195 pays des Nations unies qui se sont tenus du 26 juillet au 6 août. Elle consiste en une somme de données et d’analyses scientifiques les plus récentes en ce qui concerne les changements climatiques d’un point de vue géophysique. En 2022, deux autres opus consacrés à ses conséquences et aux mesures d’adaptation à prendre, puis aux mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre seront également présentés.
Ce nouvel état des lieux du climat est destiné à informer les décideurs avant qu’ils ne tracent de nouvelles orientations destinées à préserver la planète des effets du réchauffement. Le prochain rendez-vous est fixé lors la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques COP 26 qui se tiendra du 31 octobre au 12 novembre 2021 au Scottish Event Campus (SEC) à Glasgow, en Ecosse.
Une constante : la hausse de la température terrestre et ses conséquences (élévation du niveau des océans, multiplication des « événements climatiques extrêmes »…) doivent être plus que jamais associées aux activités humaines et à la production massive des gaz à effet de serre qui s’en dégage depuis 1750, moment où la Révolution industrielle monte en puissance.
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Ce diagnostic est servi par des méthodes plus fines de mesures et de modélisation que celles qui avaient sous-tendu le cinquième rapport d’évaluation du Giec publié en 2014. Celui-ci concluait déjà que l’influence humaine sur le système climatique était clairement établie ; que plus elle perturbe le climat, plus est imminent le risque de conséquences graves, généralisées et irréversibles. Mais aussi que l’homme a les moyens de limiter les changements climatiques et de bâtir un avenir plus prospère et plus durable.
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Ces constatations restent plus que jamais d’actualité. L’urgence, elle, est montée de plusieurs crans si l’on juge du piètre état de santé de la planète diagnostiqué par le Giec.
Pour les experts du Giec, il n’y a pas d’alternative : la solution au réchauffement climatique passe par la fin des émissions de CO2, et par de très fortes réductions des émissions des autres gaz à effet de serre produits par les activités humaines – certaines émissions liées à l’agriculture (méthane des rizières et des ruminants) ne pourront être réduites à zéro. C’est la condition sine qua non pour retrouver un air pur.
Les données scientifiques
1. Gaz à effet de serre
Depuis 1750, l’augmentation des gaz à effet de serre est « sans équivoque » causée par des activités humaines. Depuis 2011 (les mesures reprises par le 5e rapport du GIEC), leur concentration a continué à croître dans l’atmosphère, pour atteindre des moyennes annuelles de 410 ppm pour le dioxyde de carbone (CO2), 1886 ppb pour le méthane (CH4) et 332 ppb pour le protoxyde d’azote (N2O). L’océan et les terres ont absorbé environ 56 % des émissions de CO2 générées par les activités humaines depuis six décennies.
En 2019, les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont été plus hautes qu’à n’importe quel moment au cours des deux derniers millions d’années. Un constat semblable est porté sur le protoxyde d’azote et le méthane, cette fois pour les 800.000 dernières années.
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2. Elévation de la température terrestre
Depuis 40 ans, chaque décennie a vu la température croître par rapport à la précédente. Au cours des vingt dernières années, la température de la surface terrestre est plus élevée de 0,99ºC en moyenne par rapport à la période 1850-1900. Elle est passée à 1,09ºC durant la dernière décennie. Cette nouvelle poussée de fièvre est due à un accroissement récent du réchauffement climatique. Mais elle est aussi, précise le Giec, le fait d’un diagnostic plus précis, formulé grâce à l’utilisation de données et de méthodes d’analyse plus fines que celles qui avaient été utilisées pour son précédent rapport d’évaluation (2013-2014).
La responsabilité humaine dans l’augmentation totale de la température de surface mondiale depuis 1850 jusqu’à 2010-2019 est évaluée entre 0,8º C et 1,3ºC, avec une meilleure estimation de 1,07ºC. Il faut tenir compte d’autres facteurs liés à l’activité humaine (principalement les émissions d’oxydes de soufre) qui ont contribué à l’inverse à un refroidissement allant jusqu’à 0,8ºC.
Au bout du compte, « l’influence humaine a réchauffé le climat à une vitesse sans précédent au moins depuis les 2000 ans écoulés », écrit le Giec. Les conséquences sont multiples. Exemple: la période durant laquelle la végétation croît s’est allongée de deux jours par décennie dans l’hémisphère nord.
Il est « virtuellement certain que les températures extrêmes (canicules) sont devenues plus fréquentes sur la plupart des terres depuis les années 1950 », et certaines de ces épisodes au cours de la dernière décennie auraient été « extrêmement improbables » en l’absence d’influence humaine sur le climat.
3. Les océans
Il est « pratiquement certain » que l’océan superficiel – soit entre 0 et 700 mètres de profondeur – s’est réchauffé depuis les années 70. Il est « extrêmement probable » qu’il faut en attribuer la responsabilité à l’influence humaine. « L’océan global s’est réchauffé plus vite au cours du siècle passé que depuis la fin de la dernière déglaciation, il y a environ 11.000 ans. »
L’océan a absorbé 91 % de l’énergie ajoutée dans le système climatique par le piégeage de chaleur dû aux gaz à effet de serre – contre 5 % pour les terres, 3 % pour la fonte des glaces et 1 % pour le réchauffement de l’atmosphère.
Le niveau de la mer est monté de 20 cm entre 1901 et 2018. Le rythme de cette hausse s’est accéléré : elle s’est élevée en moyenne trois fois plus vite entre 2006 et 2018 (3,7 mm par an) qu’entre 1901 et 1971 (1,3 mm par an).
La dilatation thermique de l’eau explique pour moitié l’élévation du niveau des mers entre 1971 et 2018, le reste venant de la fonte des glaciers (22 %), des calottes glaciaires (20 %) et des changements affectant les réserves d’eau terrestres (8 %).
L’acidification actuelle des océans, jamais vue depuis au moins 2 millions d’années, est due aux émissions de CO2 produites par les activités humaines. Cette responsabilité vaut aussi pour la baisse des niveaux d’oxygène en plusieurs endroits des océans et pour l’altération de la salinité.
4. Précipitations
Le niveau global de précipitations au-dessus des terres s’est « probablement » accentué depuis 1950, leur rythme augmentant à partir des années 80. La fréquence et l’intensité des fortes précipitations ont augmenté depuis les années 1950, et « les changements climatiques d’origine humaine en constituent probablement la cause principale ». La trajectoire des tempêtes de moyenne latitude semble s’être rapprochée des pôles dans les deux hémisphères du globe terrestre depuis les années 1980. Il est vraisemblable que le nombre de cyclones tropicaux de forte intensité a augmenté au cours des quatre dernières décennies. Ici aussi, l’activité humaine expliquerait en partie l’augmentation de fortes précipitations associées à des cyclones tropicaux.
Les moussons ont diminué entre 1950 et 1980, en partie à cause des émissions de dioxyde de soufre anthropiques dans l’hémisphère nord, mais ont augmenté par la suite en raison de la concentration croissante des gaz à effet de serre. L’Asie du Sud, l’Asie de l’Est et en Afrique de l’Ouest sont impactées à différents niveaux.
5. Glaciers et banquise
Durant la décennie précédente, la moyenne annuelle de l’épaisseur de la glace en mer arctique a atteint son plus bas niveau depuis au moins 1850. La surface qu’elle occupe à la fin de l’été n’a jamais été aussi réduite depuis un millénaire. La fonte des glaciers est sans précédent au plan mondial depuis au moins 2000 ans.
La vitesse de fonte des calottes glaciaires (Groenland et Antarctique) a quadruplé entre 1992-1999 et 2010-2019. La fonte des calottes glaciaires et des glaciers constituaient la raison principale de la hausse du niveau de la mer entre 2006 et 2018.
6. Canicules
Les vagues de chaleur sont devenues plus fréquentes et plus intenses depuis les années 50 dans la plupart des régions du globe, alors qu’au même moment les périodes de froid extrêmes diminuaient en nombre et en sévérité. « Certains extrêmes en termes de chaleur observés durant la dernière décennie n’auraient pu avoir lieu sans l’influence humaine sur le système climatique. Les vagues de chaleur ont approximativement doublé depuis les années 80, et l’influence de l’homme y a probablement contribué la plupart du temps depuis au moins 2006 ».
L’impact humain sur le climat a contribué à augmenter les sécheresses, une évaporation accrue ayant un impact négatif sur l’agriculture et l’environnement en certaines régions.
Les scénarios du futur
Le Giec a mis à l’épreuve une série de scénarios basés sur des concentrations plus ou moins croissantes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Dans tous les cas, il estime que « la température de la surface terrestre continuera à augmenter jusqu’au moins le milieu de ce siècle. Le réchauffement terrestre de 1,5 à 2ºC par rapport à l’ère préindustrielle (1750) sera dépassé durant le 21e siècle à moins que des réductions fondamentales de CO2 et des autres gaz à effets de serre soient mises en place dans les prochaines décennies.
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Précision: les niveaux de réchauffement planétaire de 1,5ºC et 2ºC par rapport à la période préindustrielle seront dépassés d’ici la fin du 21e siècle sauf dans les 2 scénarios prévoyant des émissions basses de CO2. Le réchauffement atteindrait 1,0ºC à 1,8ºC dans le scénario d’émission de CO2 le plus bas. Il atteint 3,3ºC, et même 5,7ºC dans les projections reprenant les émissions de CO2 les plus importantes. Selon les deux scénarios les plus élevés, les 2 degrés – qui constituent la limite maximum acceptable pour l’Accord de Paris – seraient dépassés entre 2041 et 2060.
Un réchauffement de 1,5ºC par rapport à l’ère préindustrielle 1850-1900 sera dépassé au cours du 21e siècle dans tous les cas. Si les émissions de gaz à effet de serre devaient drastiquement diminuer, il est « plus probable qu’improbable » que le réchauffement mondial diminuerait à moins de 1,5ºC, mais seulement vers la fin du 21e siècle, avec un dépassement temporaire limité à 0,1ºC au-dessus de 1,5ºC de réchauffement climatique.
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Certitudes
– Il est « pratiquement certain » que la surface terrestre continuera à se réchauffer davantage que la surface des océans (1,4 à 1,7 fois plus). Il est « pratiquement certain » que l’Arctique continuera à se réchauffer davantage que le reste du globe, jusqu’à plus de deux fois le niveau du réchauffement global.
– Les changements météorologiques extrêmes devraient s’amplifier au vu des observations récentes. L’élévation du réchauffement climatique provoque clairement une hausse en fréquence et en intensité des canicules, des fortes précipitations, et des sécheresses touchant l’agriculture et l’environnement. Il en va de même pour les sécheresses météorologiques (absence de pluies) et hydrologiques (faibles débits des rivières et niveau des nappes d’eau souterraines).
– La montée des températures aux jours les plus chauds dans certaines régions (semi-arides, mousson sud-américaine, etc.) devrait atteindre 1,5 à 2 fois le niveau du réchauffement du climat.
– Les précipitations se feront plus nombreuses et plus intenses. A l’échelon global, les précipitations quotidiennes extrêmes s’intensifieront de 7 % pour chaque degré de réchauffement climatique supplémentaire. La proportion des cyclones tropicaux les plus violents et des tempêtes de vent ira également en croissant
– Le dégel du permafrost et la fonte des glaces, plus particulièrement de l’Arctique, et le raccourcissement des périodes neigeuses iront croissant avec le réchauffement climatique. L’Arctique sera probablement privé de glace en septembre au moins une fois avant 2050, selon les différents scénarios.
« Irréversible »
– De nombreuses altérations engendrées par les changements climatiques en cours sont irréversibles à l’échelle des siècles ou des millénaires, en particulier pour ce qui touche aux océans, à leur niveau et aux calottes glaciaires. C’est le résultat de l’impact des émissions de gaz à effet de serre sur la température du globe. D’ici la fin du 21e siècle, selon les différents scénarios du Giec, le réchauffement des océans projeté varie du double à 4-8 fois le changement observé entre 1971 et 2018. Stratification océanique, acidification et désoxygénation continueront d’augmenter au 21e siècle en proportion diverses.
– Les glaciers continueront à fondre pendant au moins plusieurs décennies ou siècles même si la température mondiale est stabilisée. Il est hautement probable que le Groenland et l’Antarctique continuent de voir fondre leurs glaces au cours de ce siècle.
– Le niveau des mers va lui aussi continuer d’augmenter. Par rapport à la période 1995-2014, il pourrait selon les différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre connaître une hausse totale de 28 cm à 1,01 m d’ici la fin du siècle. La montée des eaux marines pourrait atteindre 1,88 m en 2150. Le scénario le plus catastrophiste va jusqu’à tabler sur une élévation de cinq mètres au milieu du 22e siècle. Il faut remonter 125.000 ans en arrière pour retrouver une hauteur d’eau semblable. La température avoisinait alors celle que nous connaissons aujourd’hui – soit de 0,5 à 1,5ºC plus haut qu’en 1850-1900.
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Par Sandra Durieux
Docteur en science climatique du MIT, Martin Wolf établit, tous les deux ans, un classement de 180 pays selon leurs performances environnementales. La Belgique se situe au 15e rang mondial.
Martin Wolf, docteur en science climatique du MIT et enquêteur principal pour l’EPI.
Martin Wolf, docteur en science climatique du MIT et enquêteur principal pour l’EPI. - D.R.
ENTRETIEN
Né de la collaboration de chercheurs des universités américaines de Yale et de Columbia, l’indice de performance environnementale (EPI) est devenu un cadre de mesure de premier plan pour les politiques environnementales mondiales, classant 180 pays sur la base de 32 indicateurs de performances environnementales comme la qualité de l’air, la vitalité des écosystèmes, les ressources en eau et leur qualité, etc. Publié tous les deux ans – le dernier date de juin 2020 –, cet indice est particulièrement scruté par les pays car il offre une bonne visibilité sur leurs atouts et leurs faiblesses sur le plan environnemental et donc aussi sur les politiques à mener pour réduire son empreinte climatique. Rencontre avec Martin Wolf, docteur en science climatique du MIT (Massachusetts Institute of Technology) et enquêteur principal pour l’EPI.
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Qu’est-ce que le dernier rapport de l’EPI peut nous dire de l’état du monde sur le plan environnemental ?
Le rapport de l’EPI 2020 résume plusieurs conclusions clés. L’une est que le monde doit de toute urgence faire de meilleurs progrès dans la lutte contre le changement climatique. Plusieurs grands pays continuent d’accélérer leurs émissions de gaz à effet de serre mais nos analyses démontrent également que la bonne gouvernance compte. Les pays avec des gouvernements plus efficaces, moins de corruption et un meilleur Etat de droit ont tendance à surpasser leurs pairs. Le Danemark est arrivé en tête du dernier classement (82,5/100, hausse de 7,3 points EPI en 10 ans) – avec la Finlande, la Suède et la Norvège, il y a quatre pays scandinaves dans les dix premiers, NDLR – tandis que le Liberia est à la dernière place (22,6/100, baisse de 3,7 points EPI en dix ans), notamment en raison de la très forte dégradation de la qualité de l’air (ozone) et de la hausse des émissions de CO2.
Qu’en est-il de la performance de la Belgique dans ce classement ?
Les émissions polluantes de certains gaz à effet de serre comme le méthane et les gaz fluorés ont bien diminué en Belgique, mais pas les émissions de CO2, qui ont augmenté au cours des dix dernières années. Le pays obtient aussi des résultats faibles au niveau des services écosystémiques (98/100) – à savoir la capacité des écosystèmes à assurer le bien-être des habitants via la production de nourriture ou combustible, notamment par le biais des surfaces arborées et des zones humides, NDLR. Dans l’ensemble, le score EPI 2020 de la Belgique était supérieur de 2,1 points à ce qu’il était il y a dix ans. La Belgique est 15e sur 180 pays au total, et 12e sur 27 dans l’Union européenne.
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On relève tout de même en Belgique une belle progression dans la lutte contre d’autres émissions polluantes…
Nous parlons ici des émissions de dioxyde de soufre (SO2) et d’oxyde d’azote (NOx), qui sont principalement émises par la combustion fossile. Les émissions de SO2 et NOx de nombreux pays proviennent de la combustion du charbon. Il semble que la Belgique n’utilise plus le charbon pour produire de l’électricité, ce qui pourrait expliquer son meilleur score dans cet indicateur. Les politiques du Programme national belge de lutte contre la pollution atmosphérique semblent également être efficaces et appliquées, réduisant les émissions de NOx, ce qui permet à la Belgique d’être particulièrement performante dans ce domaine.
Alors qu’on s’attend à un rapport alarmiste du Giec sur la hausse des températures, quelles conclusions le rapport de l’EPI tire-t-il sur l’état de la planète ?
L’action climatique actuelle reste insuffisante pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat de 2015. Bien que nos analyses indiquent que le monde commence à découpler la croissance économique de la combustion de combustibles fossiles – l’intensité des émissions de gaz à effet de serre a diminué d’environ 30 % au cours des deux dernières décennies –, les taux de croissance des émissions d’autres super-polluants climatiques comme le méthane, l’oxyde nitreux (N2O), et le noir de carbone continue de croître à un rythme dangereux dans de nombreux pays. Les pays doivent s’engager au niveau international pour coordonner une politique climatique plus efficace et avant-gardiste. Cela comprend un transfert de technologie plus fluide entre les pays industrialisés et les pays en voie d’industrialisation, des politiques commerciales pour empêcher l’externalisation et la délocalisation des industries sales vers les pays les plus pauvres et des investissements plus importants dans les infrastructures d’énergies renouvelables.
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Zakia Khattabi après le rapport du Giec: «L’inaction est criminelle désormais»
Mis en ligne le 9/08/2021 à 10:00
Par David Coppi
Ministre du Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal, Zakia Khattabi (Ecolo) sonne l’alerte avec le Giec et veut « mobiliser » tous ses collègues de gouvernement…
«A ce stade, et avec les connaissances que nous avons, l’inaction non seulement coûte très cher, en termes économiques, sociaux, de vies humaines, mais elle est criminelle désormais.»
«A ce stade, et avec les connaissances que nous avons, l’inaction non seulement coûte très cher, en termes économiques, sociaux, de vies humaines, mais elle est criminelle désormais.» - Pierre-Yves Thienpont.
ENTRETIEN
Nous avons demandé à la ministre du Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal, Zakia Khattabi (Ecolo), de réagir au rapport du Giec…
Le rapport intervient au moment où les incendies ravagent plusieurs régions en Europe, et dans le monde, on n’oublie pas les inondations…
Oui, le rapport du Giec sort dans un contexte où tous les clignotants sont passés au rouge. Je dirais que, par rapport aux précédents rapports du Giec, le dernier il y a sept ou huit ans, celui-ci n’est pas « désincarné ». On ne peut que reconnaître maintenant que le Giec nous avait alertés, nous a alertés. Les catastrophes auxquelles nous avons droit, ce sont autant d’appels pressants à changer notre modèle de consommation et de production. En fait de contexte, j’ajoute que, politiquement parlant, nous sommes à un peu moins de 100 jours de la Cop26 à Glasgow, la conférence de l’ONU sur le changement climatique, et au moment où les gouvernements européens doivent assimiler les propositions de la Commission ayant trait à la nouvelle architecture institutionnelle climatique, s’agissant de réduire les émissions carbonées de 55 % à l’horizon 2030. Là encore, c’est un contexte fort, pour une occasion unique.
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Mais la prise de conscience est-elle à la mesure ?
Le rapport du Giec a un caractère scientifique, d’autres suivront, relatifs plus directement aux conséquences du changement climatique, aux mesures d’adaptation, aux mesures d’atténuation… Tout cela donnera à voir l’exigence d’un changement global. Il faut que la question climatique devienne notre boussole dans tout ce que nous entreprenons. Alors, oui, il y a une prise de conscience, soyons justes. En témoignent les objectifs en termes de neutralité carbone en Europe, aux Etats-Unis, en Chine… Il y a, dirais-je plus précisément, une tendance manifeste à la prise de conscience. En tout cas, c’est vrai pour les discours, les prises de position publiques et officielles. Mais maintenant, il va falloir que les actes suivent les paroles. C’est un instant de vérité. Je l’ai dit, toutes les politiques mises en œuvre doivent intégrer la question climatique, à commencer par notre plan de relance après le covid, également le plan de reconstruction en Wallonie après les inondations.
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Vous parlez d’un « instant de vérité », c’est vrai pour la ministre fédérale du Climat, qui doit être une protagoniste maintenant.
Précisément, j’ai demandé à tous mes collègues de soumettre en septembre une feuille de route traduisant, dans leurs domaines – de l’économie à l’emploi en passant par la fiscalité, la mobilité, les pensions, etc. – l’effort d’adaptation aux exigences en termes de transition écologique, avec objectifs, trajectoire et un système de monitoring afin d’évaluer régulièrement le chemin parcouru. Mon administration Climat, en outre, a soumis à tous les responsables politiques aux affaires, à tous les niveaux de pouvoir dans le pays, une sorte de modèle général voué à la décarbonation stratégique. Avec ce modèle, tous peuvent avoir une vue d’ensemble des enjeux, et opérer les choix qui s’imposent collectivement. Ce modèle comprend quatre scénarios, un premier relatif aux changements de comportement, un deuxième consacré à la technologie, un troisième qui mêle changements comportementaux et technologies, un quatrième, plus spécifique, qui apporte une série de réponses dans l’hypothèse d’une explosion de la demande énergétique. De cette façon, tous peuvent agir en connaissance de cause. Il faut arrêter de prendre des décisions au doigt mouillé.
Des décisions qui, quoi qu’il en soit, auront un coût…
… Mais quel est le coût de l’inaction ? Voyez autour de nous. Je dirais qu’à ce stade, et avec les connaissances que nous avons, l’inaction non seulement coûte très cher, en termes économiques, sociaux, de vies humaines, mais qu’elle est criminelle désormais.
Autre défi : faire en sorte que la transition écologique ne pénalise pas les classes populaires.
J’ai toujours dit, pour ma part, que les questions de justice environnementale et de justice sociale étaient liées. Prenez les inondations en Wallonie, voyez quelles populations sont frappées le plus durement, ce ne sont pas – je simplifie – les villas quatre façades… Bref, oui, il faut viser d’abord les gros pollueurs, et n’imposer des changements que lorsque nous, politiques, offrons concrètement une alternative. Exemple : sous la législature précédente, le gouvernement fédéral avait relevé les accises sur le diesel, et j’avais protesté, car, dans le même temps, ils fermaient des gares dans le pays… Là, on nageait en pleine contradiction, et on n’offre pas d’alternative aux gens, ça ne va pas, c’est profondément injuste socialement.
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Plus largement, avec Thomas Dermine, secrétaire d’Etat à la relance, nous partageons la conviction que, cette fois, vu la gravité de la situation, des investissements massifs sont nécessaires afin de renverser la vapeur en termes climatiques. C’est vrai dans les secteurs de la mobilité, l’énergie, l’aménagement du territoire, entre autres. Tout ce que l’on n’investira pas se traduira en coûts supplémentaires à court et moyen termes, parce que la situation va se dégrader. Nous devons sortir de notre vision en silos pour avoir une vision systémique, et, avec ces investissements massifs, viser des objectifs de développement durable, c’est-à-dire des objectifs où tous les paramètres comptent, environnementaux, économiques, fiscaux, enfin sociaux, bien entendu.
François Gemenne sur le rapport du Giec: «Il faut des mécanismes contraignants, non des promesses»
Mis en ligne le 9/08/2021 à 10:00
Par Pascal Martin
Il est auteur principal pour le Giec. Il insiste sur la nécessité d’une coopération internationale pour éviter des dégâts supplémentaires.
«Ce que nous allons faire va soit aggraver la situation, soit l’amortir. Mais il faut accepter le fait que nous allons devoir nous adapter à des événements climatiques extrêmes», juge François Gemenne.
«Ce que nous allons faire va soit aggraver la situation, soit l’amortir. Mais il faut accepter le fait que nous allons devoir nous adapter à des événements climatiques extrêmes», juge François Gemenne. - Pierre-Yves Thienpont.
ENTRETIEN
François Gemenne (ULiège) est auteur principal pour le Giec. Ses recherches sont consacrées à la gouvernance internationale des migrations et du changement climatique.
Quels sont pour vous les principaux enseignements du sixième rapport d’évaluation du Giec ?
Le réchauffement climatique s’accélère. Nous allons arriver plus tôt que prévu à un niveau de température que l’Accord de Paris s’était donné idéalement pour objectif de ne pas dépasser, soit ce 1,5ºC de plus par rapport à l’ère préindustrielle, qu’on risque d’atteindre au rythme actuel en 2030. Le point saillant de ce rapport est que les scénarios qui tenaient lieu de référence auparavant ont été revus. Ils sont plus crédibles et plus réalistes. On reprochait beaucoup aux anciens scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre et d’évolution des températures d’être en décalage avec la réalité. Ceux-ci sont plus précis et donnent surtout des seuils d’élévation des températures. Autre chose remarquable : les scénarios du Giec envisagent pour la première fois la possibilité d’une hausse supérieure à 4ºC d’ici 2100.
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Quelles solutions envisager aux termes de ce rapport qui, rappelons-le, est d’abord une somme de données et d’analyses scientifiques ?
Ce qui est prioritaire aujourd’hui, c’est la question de la coopération internationale. Je suis frappé par le fait que le débat sur le changement climatique s’est volontiers restreint à ce que chacun pouvait faire de son côté. Nous sommes tous restés dans l’idée de faire notre part. Mais cela ne sera pas suffisant, en raison notamment des émissions de gaz à effet de serre importées, c’est-à-dire produites lors de la fabrication d’objets réalisés ailleurs, puis importés chez nous. Pour donner une idée, les émissions importées représentent l’essentiel de l’empreinte carbone de la Belgique. Or, chez nous, tout le débat porte actuellement sur la politique énergétique ou la politique de transport. On ne réalise pas suffisamment que le futur de la lutte contre le changement climatique ne va pas seulement se passer à Bruxelles, à Washington ou à Pékin. Mais qu’il va aussi se passer à Dehli, à Mexico, au Caire, à Johannesburg ou à Djakarta, soit dans des pays auxquels on s’intéresse très peu aujourd’hui car ce ne sont pas de gros émetteurs. Mais leurs émissions de gaz à effet de serre sont en hausse. En 1960, l’Europe représentait 42 % de ces émissions. Aujourd’hui, c’est 15 %. En 2030, ce sera 10 %. Cela veut dire que les émissions européennes ne représentent plus qu’une petite minorité au plan mondial. Et donc l’enjeu, c’est aussi de voir avec ces pays ce qu’il est possible de faire avec eux.
La COP26 constitue précisément le prochain rendez-vous politique international en matière de changement climatique. Ce sera en novembre à Glasgow. Il est déjà de bon ton de dire qu’elle risque de ne pas mener à grand-chose de concret.
Il ne faut pas décrire les COP comme des grands-messes qui ne mènent pas à grand-chose. Même si chaque COP ne produit pas de résultats concrets, c’est tout de même un endroit où les Etats reconnaissent qu’il y a un problème et qu’ils doivent le résoudre collectivement. Ils font aussi le point sur les efforts de chacun. C’est sans doute un biais médiatique de penser qu’il faut attendre un grand accord à chaque COP. Toutefois, la COP26 sera particulière : ce sera la première fois que les Etats devront faire un compte-rendu sur les efforts qu’ils ont entrepris depuis l’Accord de Paris. Ils devront surtout revoir à la hausse leurs engagements. Ceux qui ont été pris en 2015 à Paris ne sont pas suffisants. Et ils le sont d’autant moins à la lueur du rapport du Giec. Certains pays ont déjà leurs engagements, comme l’Europe et les Etats-Unis. Mais on attend que beaucoup d’autres en fassent de même. Le second enjeu sera de trouver des mécanismes pour que ces engagements soient maintenus.
En les rendant contraignants ?
Je pense qu’il faudra en arriver là. Nous sommes aujourd’hui dans une logique de promesses permanentes qui ont fini par remplacer l’action politique. D’où des promesses de plus en plus ambitieuses, continuelles, qui semblent capter toute la lutte contre le changement climatique. Toute la difficulté est que les Etats-Unis se sont toujours opposés aux mécanismes contraignants, même sous administration démocrate. Cela risque d’être à nouveau le cas à la COP26. Or, à part Washington, il n’y a pas grand monde qui puisse le faire. Le paradoxe des négociations internationales veut que plus vous polluez, plus vous y êtes importants. C’est une prime de négociation aux plus gros pollueurs, puisque tout accord qui se ferait sans eux serait nul et non avenu.
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Le rapport du Giec affirme que certaines conséquences graves du réchauffement climatique sont irréversibles pour des siècles, voire des millénaires. Nous allons donc devoir nous réorganiser pour y faire face. Mais comment ?
Le changement climatique que nous avons engagé est irréversible. A l’échelle de nos vies humaines, les températures et le niveau des océans ne vont pas redescendre. Ce que nous allons faire va soit aggraver la situation, soit l’amortir. Mais il faut accepter le fait que nous allons devoir nous adapter à des événements climatiques extrêmes. Les inondations de la mi-juillet nous ont montré à quel point nous y étions peu préparés. Ce qui signifie que nos gouvernements vont devoir mettre en place les moyens nécessaires pour l’adaptation au changement climatique. Beaucoup de pays du sud ont déjà des plans d’adaptation, des ministères aux Catastrophes naturelles. C’est aussi ce qui nous attend.
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Autre conséquence de taille : l’augmentation des migrations climatiques internes, mais aussi externes. Les migrants vont se presser toujours plus nombreux aux portes de l’Europe…
Les effets du changement climatique et les dégradations de l’environnement sont un des premiers facteurs de migration et de déplacement dans le monde. Ils ne sont pas isolés, mais au contraire ils influencent les facteurs politiques et économiques des migrations. Donc, plutôt que de voir les migrations climatiques comme une sorte d’épouvantail du futur, il faut aujourd’hui que l’on réalise à quel point est important l’impact des facteurs environnementaux, et qu’on y apporte des réponses dès aujourd’hui.
Votre modèle de société idéal dans un monde qui aurait pris la pleine conscience et la pleine responsabilité de ce qu’est le changement climatique, c’est quoi ?
Dans le volume 2 du rapport du Giec qui sera présenté en février prochain, il sera question d’articuler les questions de justice sociale avec les impacts environnementaux, y compris dans la manière dont nous traitons le changement climatique. Un des gros problèmes actuels est que les plus vulnérables sont ignorés des politiques d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’adaptation au changement climatique. Il y a un vrai enjeu aujourd’hui à faire en sorte que ces politiques soient socialement justes, sinon elles échoueront.
François Gemenne est l’auteur de L’Atlas de l’anthropocène. Une seconde édition actualisée est annoncée pour la rentrée.
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Mis en ligne le 9/08/2021 à 10:00
Par Pascal Martin
Le climatologue n’est pas défaitiste et il salue les engagements pris au niveau international. En insistant néanmoins sur le fait qu’il est plus que temps de passer de la parole aux actes.
«Si la moitié de la couche de CO2 autour de la terre est absorbée par les écosystèmes et l’océan, l’autre moitié est dans l’atmosphère pour longtemps», juge Jean-Pascal van Ypersele.
«Si la moitié de la couche de CO2 autour de la terre est absorbée par les écosystèmes et l’océan, l’autre moitié est dans l’atmosphère pour longtemps», juge Jean-Pascal van Ypersele. - Pierre-Yves Thienpont.
ENTRETIEN
Jean-Pascal van Ypersele est professeur de climatologie à l’UCLouvain. Il a dirigé la délégation belge et partiellement coprésidé les sessions de travail qui ont permis de finaliser le résumé pour les décideurs de la première partie du sixième rapport d’évaluation du Giec.
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Et si on parlait d’air pur plutôt que de CO2?
Limiter l’augmentation moyenne de la température de la surface terrestre à 1,5ºC comme prévu dans l’Accord de Paris, est-ce cause perdue ?
Non. Car s’il y a presque 50 % de probabilités que l’augmentation de 1,5ºC par rapport au niveau préindustriel soit bien dépassé de 0,1ºC dans le scénario le plus bas en termes d’émissions futures de gaz à effet de serre, la température redescendrait toutefois ensuite à 1,4ºC. Ce scénario est ambitieux car il exige notamment de fortes réductions des émissions de CO2. Mais il tient la route du point de vue de la physique du climat et de la littérature scientifique. Les autres scénarios vont de 1,6ºC d’élévation moyenne de la température pour la période 2041-2060 jusqu’à 5,7ºC supplémentaires pour les vingt dernières années du siècle. Il faut absolument éviter d’en arriver là.
Dire que tout n’est pas perdu, c’est important pour la suite ?
Oui. L’objectif de l’Accord de Paris est de rester bien en dessous des 2ºC tout en continuant à produire des efforts pour tenter ne pas dépasser les 1,5ºC. Projeter l’image que ce but ne sera pas atteint serait très démobilisateur.
Il faut pour cela que les engagements pris au niveau international soient respectés et que les futures mesures de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre produisent des résultats rapides.
L’Europe se montre ambitieuse, mais il lui reste à transformer les intentions en actes. Ce sera l’objet de négociations dans les prochaines années. Pour l’instant, les mesures sont encore loin d’être prises. Vouloir atteindre un objectif net zéro carbone est évidemment bienvenu. Mais ce n’est qu’une contribution à la résolution du problème, puisque l’Europe ne représente qu’une petite partie des émissions de gaz à effet de serre à l’échelon mondial. Il faut que le reste de la planète suive. Les engagements pris par la Chine et les Etats-Unis pour décarboner vont bien sûr dans la bonne direction. Mais de nouveau, jusqu’à présent, ce sont des discours.
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Par rapport au cinquième rapport du Giec livré en 2013-2014, est-on dans la continuité ? Ou y a-t-il un emballement du système climatique ?
On ne peut pas dire qu’il y a un emballement du système climatique, ce serait incorrect. Par contre, en comparaison du rapport précédent, nous avons des informations encore plus précises sur le climat. On peut faire un parallèle avec un médecin à qui on demanderait de décrire avec davantage de détails les souffrances d’un patient qui va mal. La fièvre est un symptôme que l’on retrouve dans nombre de maladies chez l’homme. Si la fièvre monte trop haut, c’est la mort. La fièvre humaine a pas mal de points communs avec la fièvre de la planète. On demande au Giec de décrire avec de plus en plus de précision les maux du patient. Nos données sont plus précises qu’autrefois. Mais ce n’était pas nécessaire pour prendre au plus vite des mesures plus ambitieuses par rapport à la réduction des émissions de CO2. La maladie qui ronge la planète, nous l’avions identifiée dès le premier rapport du Giec, en 1990.
Certaines informations liées au paléoclimat donnent une dimension abyssale à la situation que nous vivons. A suivre ce rapport, il faut se reporter à des centaines de milliers d’années, voire à deux millions d’années en arrière, pour retrouver des conditions semblables à celles que nous vivons.
Oui. Mais en réalité, la plupart des civilisations se sont développées au cours des dix derniers millénaires, ce qui est très bref par rapport à l’histoire de la Terre, qui a 4,6 milliards d’années. Elles se sont développées alors que la température n’a fluctué que d’environ un degré en plus ou en moins que la température préindustrielle, si l’on parle de moyenne globale. Aujourd’hui, nous sortons de cette gamme de température en pensant que cela n’aura pas de conséquences. Or, c’est bien elle qui a permis le développement de l’agriculture, des infrastructures côtières, etc. Cela devrait nous faire réfléchir. Au cours des 10.000 dernières années, jamais la température n’a été aussi élevée qu’aujourd’hui.
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Est-ce irréversible ? Sommes-nous condamnés à vivre avec un air pollué, des sécheresses qui ruinent les récoltes et des calottes glaciaires qui fondent ?
Stopper les émissions de CO2 ne résoudra pas tous les problèmes. Nous avons installé autour de la Terre une couche d’isolant thermique qui s’approche des 420 ppm de CO2, soit 50 % de plus qu’il y a 200 ans. Elle fait croître la température de la planète à la manière d’une couverture posée sur un corps. Aujourd’hui, nous pouvons empêcher d’épaissir cette couche, mais tant qu’on n’arrivera pas à réduire son épaisseur, les conséquences qui lui sont associées produiront leurs effets. Les glaciers et les calottes glaciaires vont continuer à fondre, l’océan va continuer à se réchauffer, etc. Cette évolution est irréversible à une échelle de temps de quelques siècles ou de quelques millénaires car nous avons installé dans l’atmosphère une couche de CO2 très stable. Si la moitié est absorbée par les écosystèmes et l’océan, l’autre moitié est dans l’atmosphère pour longtemps.