Interview d'un autoproclamé "Expert nucléaire" par Le Soir.
Quand on sait que le monsieur est autodidacte et n'a aucun diplome scientifique ou formation d'ingénieur, son "titre" d'"Expert nucléaire" me laisse perplexe.
Mycle Schneider : « Zaporijia, c’est un momentum dans l’histoire du nucléaire civil »
Pour l’expert nucléaire Mycle Schneider, le risque de catastrophe nucléaire majeure reste bel et bien d’actualité. Selon lui, l’atome comme moyen de production électrique est sur la voie d’un inévitable déclin. Et l’actuelle crise énergétique n’y changerait rien.
Chaque année, le Rapport sur l’industrie nucléaire (WNISR) fait l’objet de toutes les attentions. Rédigée par une équipe d’experts indépendants, sous la houlette de Mycle Schneider, la dernière édition est parue dans le contexte inédit de l’invasion russe en Ukraine et de la crise énergétique sans précédent qui s’est ensuivie. A l’heure où de nombreuses voix appellent à relancer la filière nucléaire pour garantir la sécurité d’approvisionnement, l’expert allemand livre une analyse inverse, en soulignant les inconvénients de l’atome mis en lumière par la guerre.
Est-ce que vous seriez d’accord avec moi pour dire que l’événement nucléaire de l’année 2022, c’est l’occupation par les forces russes de la centrale ukrainienne de Zaporijia ?
Oui, absolument. C’est un momentum particulier dans l’histoire du nucléaire civil. Le fait que la guerre arrive littéralement jusqu’aux portes et même à l’intérieur d’une centrale nucléaire, c’est du jamais vu ! C’est un événement sans précédent qui est aussi d’une gravité extraordinaire. Parce qu’il est parfaitement clair qu’aucune centrale nucléaire au monde n’a été conçue pour fonctionner dans des conditions de guerre. Et encore moins pour être occupée, en particulier sur une durée aussi longue. Par conséquent, tout ce qu’on imaginait en matière de sûreté est caduc. Et je me pose beaucoup de questions sur la façon dont la communauté internationale gère ça.
Est-ce qu’il est possible d’intervenir au milieu du champ de bataille ?
La résolution du problème, c’est de lever l’état de guerre. Il n’y a pas d’autre solution. Mais les démarches de l’AIEA (l’Agence internationale de l’énergie atomique, NDLR) laissent entendre qu’une espèce de « normalisation », est possible sous certaines conditions, c’est-à-dire en créant une zone de non-agression autour de la centrale. Je trouve ça extrêmement problématique parce que ça suggère que cela pourrait résoudre la situation. C’est vraiment une erreur : il ne faut pas donner l’impression qu’il est possible de faire fonctionner une centrale nucléaire dans un état de guerre.
C’est impossible de protéger une centrale contre la guerre…
On a beaucoup discuté de la résistance du bâtiment, du réacteur lui-même : est-ce qu’un missile peut pénétrer l’enceinte de confinement ? Ce n’est pas du tout la question. Il y a beaucoup d’autres points qui sont beaucoup plus faibles, notamment l’alimentation électrique. On a déjà eu cinq coupures du réseau électrique pendant lesquelles l’ensemble du site a été alimenté par des diesels de secours. Or on sait que les diesels ont un manque de fiabilité notoire.
On a vécu pendant un an et on vit encore à deux doigts d’un accident nucléaire majeur ?
Absolument. Je suis toujours très prudent par rapport aux informations qu’on reçoit du site. Ce qu’on dit actuellement, c’est qu’il n’y a aucun des six réacteurs qui fonctionne. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a plus de problème. Le combustible qui est à l’intérieur des réacteurs est encore « frais », donc très irradiant. Même à l’arrêt, il faut que le système de refroidissement fonctionne en permanence. Idem pour les piscines de refroidissement qui se trouvent à l’intérieur de l’enceinte de confinement. D’autant qu’on ne parle pas seulement d’un réacteur qui pourrait entrer en fusion, mais potentiellement de six. Fukushima a montré que les effets de série, c’est justement ce qui peut arriver très vite. Donc, oui, on est passé à deux doigts et on continue à passer à deux doigts d’une catastrophe majeure. Il ne faut pas oublier aussi qu’il y a trois autres sites nucléaires avec neuf autres réacteurs dans le pays.
L’autre conséquence de cette guerre, c’est une sorte de « retour en grâce » du nucléaire civil, comme un moyen d’assurer la sécurité d’approvisionnement et l’indépendance énergétique. La France a récemment réuni une alliance pour le nucléaire qui regroupe seize pays…
Je suis perplexe parce qu’on prône exactement l’inverse de ce que la situation que nous vivons depuis un an et demi nous enseigne. Je rappelle quand même que les vols en provenance de Russie ont été interdits à l’entrée de l’Union européenne, à deux exceptions près : l’aide humanitaire… et le transport des assemblages de combustible nucléaire. Si ça, ce n’est pas la démonstration de notre dépendance à un autre pays, en l’occurrence à la Russie . Pourtant, on renverse la situation et on dit que pour être plus indépendant et avoir une plus grande sécurité d’approvisionnement, on doit faire plus de nucléaire. Et dans le même temps, on voit la dégringolade de la production nucléaire française depuis des années. Cela ne date pas de 2022 et des problèmes de corrosion (qui ont entraîné l’arrêt de plusieurs réacteurs dans l’Hexagone, NDLR). Si EDF n’a pas fait faillite, c’est parce que le gouvernement a tiré le frein d’arrêt d’urgence via une nationalisation. On a une fois encore la démonstration des problèmes liés au nucléaire avec, dans le même temps, une espèce de résurgence du nucléaire dans les discours.
En Belgique, la décision de prolonger la durée de vie de deux réacteurs a été prise…
Ce n’est pas encore fait. Puis, une autorisation de prolongement de durée de vie d’un réacteur n’est pas égale à production. L’année passée, à peu près la moitié de la capacité installée nucléaire en France n’a pas fonctionné : or tous ces réacteurs avaient bien une autorisation de fonctionnement. La Belgique a aussi connu des situations où la moitié des réacteurs n’ont pas fonctionné, voire plus. Il ne suffit donc pas que le gouvernement décide de prolonger la durée de vie d’un réacteur pour dire qu’on aura de l’électricité nucléaire pendant encore dix ans ou plus. Ça ne marche pas comme ça. Et puis vous voyez bien que les négociations sont quand même beaucoup plus âpres que prévu.
Le Parlement français, lui, vient de voter la loi de relance nucléaire, avec l’ambition de construire six nouveaux réacteurs EPR…
Le problème a toujours été que les plans ne produisent pas de kilowattheures. Pour l’instant, l’industrie française n’arrive pas à finir un seul EPR en France (celui de Flamanville 3, NDLR). Et on nous parle d’en faire six ! Il y a un non-paper interministériel qui a fuité. Vous savez ce qu’il dit concernant les délais de réalisation ? Il dit que dans le cas d’une « relative maîtrise industrielle », le premier réacteur pourrait entrer en service en… 2039. Si tout va bien ! Et dans le cas d’un « scénario plus dégradé », ce serait 2043 ! Et le dernier des six entrerait en service entre 2050 et 2051. Donc quoi qu’il arrive, c’est beaucoup trop tard. D’autant que la France n’a plus la main-d’œuvre, les capacités d’ingénierie, les techniciens pour le faire. Pour les problèmes de corrosion sur les réacteurs actuels, il a fallu faire venir des soudeurs des Etats-Unis et du Canada, et toutes les pièces de tuyauterie ont été fabriquées en Italie. Donc, c’est totalement irréaliste.
Il n’y a pas que la France qui continue à croire dans le nucléaire. Il y a la Chine, les Emirats, la Turquie, la Corée…
La question, c’est où a-t-on vraiment donné le premier coup de pelle ? Depuis 2019, il y a eu 28 débuts de construction de réacteurs dans le monde. Mais sur les 28, il y en a 17 en Chine et onze construits par l’industrie russe dans divers pays. C’est tout. La réalité industrielle de construction nucléaire se résume à ça : la Chine construit chez elle, et la Russie construit à l’étranger. Mais si on regarde ce qu’a fait la Chine dans le contexte, on voit qu’elle a mis en service trois réacteurs en 2022, pour une capacité installée nouvelle de 2,2 GW. La même année, elle a couplé au réseau de l’ordre de… 125 GW d’éolien et de solaire ! Ça, c’est la réalité industrielle. Donc, oui, la Chine fait du nucléaire. Mais bon, tout est relatif.
Dans votre dernier rapport, vous dites que même si on mène à bien tous les chantiers entamés et toutes les prolongations annoncées, c’est insuffisant pour compenser les réacteurs qui vont être définitivement fermés.
Exactement. C’est une sortie organique du nucléaire sur le plan international qui s’installe naturellement. Il faudrait plus que doubler le rythme de construction pour maintenir l’état actuel.
Ça, vous n’y croyez pas ?
Ce n’est pas une question de croyance. On ne parle pas de religion. On parle de quelque chose de très concret. Dans ce qu’on a vu au cours des dix dernières années et même dans la situation actuelle, il n’y a rien qui montre qu’il y aura un changement significatif dans le rythme de construction de réacteurs. Je vois toutes les hypothèses d’expansion du nucléaire. Par exemple, le gouvernement américain a publié une étude qui évalue le potentiel du nucléaire d’ici à 2050 aux Etats-Unis à 300 GW. Mais ce sont des fantasmes, ça n’a aucune base industrielle réelle. Les Etats-Unis sont le pays avec le plus grand nombre de réacteurs en fonctionnement. Ils viennent de démarrer un nouveau réacteur à Vogtle, il y en a un autre en construction… et c’est tout ! Il n’y a même pas un dossier de demande d’autorisation en cours. Rien. Et je ne parle même pas des SMR (les petits réacteurs modulaires, NDLR) : là il y a une procédure de demande d’autorisation de design, mais il manquait des éléments capitaux et l’autorité de sûreté a refusé d’instruire le dossier en l’état.
En matière de production électrique nucléaire, on est quand même quasiment revenu au niveau pré-Fukushima…
Oui, c’était bien le cas en 2021. Mais en 2022, la production a chuté de près de 5 %.
Un peu comme le pic pétrolier, on pourrait avoir passé le pic nucléaire ?
Le « pic nucléaire » reste à définir. Mais sur la tendance, oui, j’en suis convaincu.
Avec la prolongation de la durée de vie des réacteurs, on ne pourrait pas inverser la tendance et faire remonter la courbe ?
Non. D’autant qu’on parle aujourd’hui de faire fonctionner des réacteurs pendant 60 ans. Mais on n’a aucune expérience industrielle sur un réacteur qui fonctionne aussi longtemps. Il y en a une douzaine seulement dans le monde qui ont passé les 50 ans. Et sur les cinq dernières années, l’âge moyen d’arrêt définitif était de 43 ans.
Pourtant, beaucoup d’ingénieurs nucléaires disent qu’un réacteur pourrait fonctionner 80, voire 100 ans…
Peut-être. La durée de vie du béton n’est pas éternelle, tout le monde le sait. On peut tout démolir et reconstruire. On peut aussi changer la cuve. C’est une question de coût. Mais ça, c’est totalement théorique et ça n’a rien à voir avec la durée de vie d’un outil industriel.
Reste la question des investissements nécessaires. Vous aimez dire qu’un euro dépensé dans le nucléaire ne peut pas être dépensé ailleurs, dans le renouvelable, par exemple.
On fait aujourd’hui comme si les moyens étaient illimités et qu’on pouvait dépenser de l’argent partout. Ce n’est pas possible. On a un certain délai et on a des moyens limités. Avec nos moyens financiers et humains, quelles sont les options que nous avons sur la table ? L’année dernière, pour la première fois, l’augmentation de la consommation d’électricité dans le monde a été entièrement couverte par du renouvelable. L’an dernier toujours, le facteur de charge (la production réelle par rapport à la puissance nominale, NDLR) du nucléaire en France était de 52 %. Il y a une ferme éolienne en Ecosse qui a fait 54 % en moyenne sur les cinq dernières années. C’est un record, mais on voit qu’on arrive aujourd’hui au même ordre de grandeur pour du renouvelable que pour le nucléaire… à une fraction du coût.
la Bio du monsieur:
--------------------------
Né en 1959 à Cologne (Allemagne), Mycle Schneider est un analyste international indépendant en matière de politiques énergétique et nucléaire. Il est l’initiateur, le coordinateur et l’éditeur du World Nuclear Industry Status Report (WNISR). Il est membre fondateur du International Energy Advisory Council et du International Nuclear Risk Assessment Group. Aux Etats-Unis, il a été nommé à l’International Nuclear Security Forum, basé au Stimson Center (Washington D.C.) et à l’International Panel on Fissile Materials, basé à l’Université de Princeton. De 1998 à 2003, Mycle Schneider a été conseiller de deux ministres français de l’Environnement et du ministre belge de l’Energie et du Développement durable, Olivier Deleuze (Ecolo). Il a donné des conférences ou enseigné dans plus de vingt universités et écoles d’ingénieurs dans plus de dix pays.