D'après le magazine Time d'octobre 2005 : Economie mondiale
Le vrai choc pétrolier
Un expert prétend que les Saoudiens ne pourront pas suivre la demande ; il faut se préparer dès maintenant.
Par Matthew SIMMONS
Publié dimanche 18 septembre 2005
Entre 1950 et 2005, la consommation mondiale de pétrole a été multipliée par plus de huit, pour atteindre 85 millions de barils aujourd'hui. Malgré cette hausse incroyable, l'appétit mondial pour le pétrole connaît actuellement un coup d'accélérateur, en même temps que des pays comme la Chine ou l'Inde progressent finalement vers un niveau de vie comparable à ceux de l'Europe et des Etats-Unis. La plupart des modèles prédictifs en matière de pétrole montrent une hausse de la demande jusqu'à atteindre 120 et même 130 millions de barils par jour vers 2025 et 2030. Le seul endroit au monde d'où peut venir un tel surplus de production est le Moyen-Orient, l'Arabie Saoudite fournissant le gros de la hausse.
Ne pariez pas là-dessus.
Pendant des dizaines d'années, presque tous les gestionnaires publics, assistés par la plupart des experts pétroliers, ont présumé que le Moyen-Orient possédait de larges quantités de réserves prouvées de pétrole, qui pouvaient être extraites à des coûts extrêmement bas, permettant ainsi à la demande de pétrole de grimper jusqu'à pratiquement n'importe quel niveau. Au coeur de cette croyance se situe l'espoir que la production de l'Arabie Saoudite puisse monter, en partant d'environ 9 millions de barils par jour en 2005, jusqu'à 25 ou même 30 millions de barils par jour quelque part entre 2025 et 2030.
Après avoir fait des recherches pendant plus de 2 ans pour mon livre Twilight in the Desert, je suis convaincu qu'il est hautement improbable que la production de pétrole du Moyen-Orient -- et en particulier d'Arabie Saoudite -- puisse atteindre ces niveaux bien plus hauts. A l'inverse, il y a un risque que la production saoudienne et le reste des réserves du Moyen-Orient commencent à décliner.
Le risque pesant sur la production saoudienne vient du fait que pratiquement 90% de ses ressources provienne de seulement 5 champs-clés vieillissants. Chacun de ces champs vieillissants est exposé à un risque de baisse de production. Les implications de ce risque sont énormes, puisque 35 ans d'exploration intense du royaume ont révélé seulement un champ pétrolifère significatif, Shaybah. Or sa production maximale est inférieure à 3% de la production totale de l'Arabie Saoudite.
La probabilité que l'Arabie Saoudite puisse augmenter sa production ne serait-ce que jusqu'à 15 million de barils par jour est négligeable. Le maintien même de son taux de production actuel pour une durée indéterminée est très incertain. Les champs de Ghawar, Abqaiq et Berri (qui produisent toujours 90% du brut léger de l'Arabie Saoudite) utilisent acutellement des puits à injection d'eau -- c'est-à-dire qu'on se trouve dans la partie facile de l'extraction. Une fois que ceci sera fini, la production de ces champs va décliner, et le déclin pourrait être brutal. Les deux autres champs géants, qui produisent un pétrole de moindre qualité, sont exposés au même risque. Déterminer avec précision le moment et l'amplitude du déclin à venir est impossible à partir des maigres données publiées par l'Arabie Saoudite. Mais le risque est réel, et la baisse pourrait se produire bientôt.
Conséquence directe de tout ceci : la production mondiale de pétrole a probablement atteint son maximum. Alors que le monde s'attend à consommer 120 million de barils par jour d'ici 20 ans, la production réelle pourrait être deux fois moindre. Cette conclusion met en évidence la taille potentielle du fossé énergétique dans lequel nous nous trouvons. Il est impossible de calculer la probabilité que ce déséquilibre entre l'offre et la demande se réalise, mais une gestion prudente voudrait que le monde prenne en compte le scénario le plus douloureux. Il faut donc développer et mettre en place de manière urgente un plan mondial d'utilisation plus rationnelle du pétrole.
A court terme, l'économie mondiale doit réduire sa consommation pétrolière de manière significative. Dans la mesure où 70% du pétrole mondial est utilisé comme carburant pour les transports, il faudrait commencer par là. Nous devons créer de nouvelles formes de carburants et réduire la quantité des biens et de personnes transportés par voiture et par camions. Si un pourcentage élevé des produits qui sont actuellement transportés par de gros camions était transféré au transport ferroviaire ou maritime, des économies encore plus grandes seraient réalisées. Ces changements prennent du temps, mais doivent réussir.
Nous devons aussi enlever tous les freins à la recherche de nouveaux gisements pétroliers. Des actions comme forer dans la controversée réserve naturelle d'Alaska ou explorer des nouveaux gismenents de pétrole ou de gaz dans les eaux territoriales de l'Amérique du Nord prennent soudain un caractère d'urgence. Elles ne peuvent pas résoudre le problème mais pourraient nous faire gagner du temps pour compenser la baisse des ressources.
Un deuxième changement serait de généraliser le télé-travail. La plupart des entreprises commerciales fonctionnent sur l'idée que tous les employées doivent travailler dans le même bâtiment pour pouvoir communiquer. Cela était vrai il y a 20 ou 40 ans, mais il y a maintenant le fax, l'e-mail, le téléphone et la visio-conférence qui permettent aux gens de travailler de chez eux, éliminant par là plusieurs heures de transport. Nous devons également fabriquer plus de produits et cultiver plus de nourriture près des marchés où ils seront consommés.
Aucun de ces changements n'est difficile techniquement. Pris tous ensemble il pourraient réduire considérablement la consommation pétrolière des pays développés, tout en servant de modèle pour les économies émergentes qui ne peuvent pas se permettre d'utiliser le pétrole de manière aussi peu efficace que nous avons fait.
Si un plan directeur est adopté rapidement à l'échelle mondiale, le monde peut gérer en toute sécurité un pic de production pétrolière et créer en même temps une économie plus durable et agréable. Si nous ne prenons pas ces mesures et que le pic pétrolier arrive effectivement, les conséquences imprévues pourraient créer un monde bien plus sombre.