Les centres fermés ne sont pas un jardin d'enfants
Depuis le 2 mars, une famille avec 5 enfants, est détenue au centre 127 bis à Steenokkerzeel. Plusieurs de ces enfants allaient régulièrement à l'école, et l'ainé, âgé de 14 ans, est gravement handicapé. Par deux fois, un tribunal a jugé cette détention illégale. Mais l'État belge a fait appel et leur détention se prolonge. Cette situation est malheureusement loin d'être un cas isolé.
Qu'ils soient en famille ou non accompagnés, la Belgique enferme des mineurs étrangers depuis des années, au mépris des règles internationales qu'elle a signées et ratifiées, mais surtout, au mépris des valeurs humaines les plus fondamentales. Rappelons que ces détentions ne sont en rien consécutives à la commission d’un délit. Simplement, ces familles ont quitté leur pays pour trouver une terre où vivre en paix.
Il suffit d'imaginer le parcours de ces enfants pour percevoir le non-sens que représente leur enfermement. De l'humiliation des parents au moment de l'arrestation, surtout lorsque l'enfant est « récupéré » à l'école, à la détention en tant que telle, le traumatisme est profond. Dans les centres fermés, au fil des semaines on voit les enfants s'user, devenir taciturnes, perdre l'envie du jeu et de la découverte… Le centre fermé abîme chaque année la vie de centaines d'enfants, sans que personne ne s'en émeuve. Ces enfants de tous âges (parfois des bébés de quelques mois) doivent respecter les heures de promenade, pour sortir un instant, entourés de barbelés. Ils sont privés d'instruction – un droit constitutionnel ! – dans un milieu régi par des règles carcérales.
À la fin des années 90, plusieurs travaux avaient permis de souligner à quel point le centre fermé n'était pas une structure adaptée pour un enfant, et comment la détention d'un mineur pouvait laisser des séquelles psychologiques graves. En septembre 1999, à la demande du tribunal de première instance de Bruxelles, un rapport d'expertise rédigé par des psychologues et pédopsychiatres avait détaillé l'ampleur de « la maltraitance psychologique », « explicable par les seules conditions de vie en centres fermés ».
En juin 2003, à son entrée en fonction, le gouvernement Verhofstadt II déclarait que « ne seront plus accueillis dans des centres fermés à la frontière des mineurs non accompagnés qui demandent l’asile à la frontière ». Deux ans plus tard et malgré l’entrée en vigueur du système de tutelle le 1er mai 2004, on doit constater que les enfants dans ce cas continuent à être détenus systématiquement au centre 127 et cela parfois pendant plusieurs semaines.
Dans les deux centres fermés situés près de l’aéroport de Bruxelles-national, on trouve aussi de nombreuses familles avec enfants. Au milieu de ce mois d’avril 2005, on dénombrait 39 enfants dans le seul centre 127 bis de Steenokkerzeel.
Pour reprendre les termes du rapport d’expertise de 1999, on a peine à imaginer combien l'identité familiale est « ébranlée par l'échec, la culpabilité, l'absence d'avenir envisageable ». Dans ce contexte de détention, les enfants vivent dans une atmosphère de tension, voire de violence, où les jeux existent mais sont difficilement accessibles, où les journées sont terriblement vides et sans aucun sens, où les enfants sont perclus dans une salle de télévision enfumée et bruyante.
Certains trouveront acceptable d'aménager les centres fermés pour les rendre plus confortables aux enfants. Mais tous les aménagements possibles n'empêcheront pas le traumatisme lié à une privation de liberté dont les enfants ne comprennent pas les raisons. Aucun aménagement en la matière n'est possible, ni ces enfants ni leurs parents n'ont leur place dans un centre fermé.
Si les conséquences sur le psychisme de l'enfant et sur son développement en tant qu'individu laissent de marbre le gouvernement, les enfants ont pourtant des droits, inscrits dans la Convention relative aux droits de l'enfant entrée en vigueur en Belgique le 15 janvier 1992.
Cette Convention énonce quelques principes fondamentaux: l'intérêt supérieur de l'enfant doit toujours être pris en considération prioritairement dans toute décision le concernant ; l'enfant doit être protégé contre toute forme de discrimination due à la situation juridique de ses parents ; l'enfant a droit au développement physique, spirituel, moral et social. Il a droit aux loisirs et, bien sûr, à l'éducation. Mais surtout, l’article 37 de cette Convention prévoit que « l'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible ».
En enfermant des enfants, parfois pour plusieurs mois, la Belgique viole cette Convention internationale et crée, de fait, les conditions d'une discrimination entre enfants sur base du statut administratif de leurs parents.
Pourtant, l'enfermement de mineurs n'est pas une fatalité. Les rapports mentionnés ci-dessus avaient permis une prise de conscience et la suspension de toute détention de familles avec mineurs de fin 1999 à juin 2001. Depuis lors, l'obsession de la « gestion des flux migratoires » a repris l'ascendant sur le respect des droits fondamentaux de l’Enfant.
Par conséquent nous demandons au plus vite l'arrêt de la détention de mineurs et une réflexion rapide sur les alternatives à ces détentions. Assurément nous ne dénonçons pas uniquement l'enfermement des mineurs, mais pouvons-nous en particulier accepter qu’une démocratie qui se veut un modèle de respect des droits humains méprise les droits des plus vulnérables d’entre nous, à savoir les enfants ?