"Les droits ancestraux du peuple juif" :
Combien de temps les Juifs ont vécu en Palestine à l'époque antique est difficile à déterminer de façon précise. Tout dépend de l'événement auquel on relie les origines de leur présence. Est-ce le règne de Salomon et la construction du Temple de Jérusalem (environ 950 avant J.C.) ? Ou le règne de David (environ 1000 avant J.C.) ? Ou le couronnement de Saül (environ 1025 avant J.C.) ? Ou la sédentarisation des Douze Tribus avec Josué (environ 1200 avant J.C.) ? Ou l'Exode et le passage de la Mer Rouge sous la conduite de Moïse (environ 1250 avant J.C.) ? Ou l'arrivée d'Abraham en Canaan (environ 1950 avant J.C.) ?
Les frontières entre l'histoire et la légende s'estompent très vite quand on remonte dans le temps. Parmi les personnages bibliques ci-dessus, Salomon est le seul dont l'existence soit documentée par des sources autres que l'Ancien Testament (lequel a été écrit au 6ème siècle avant notre ère, c'est-à-dire entre 400 et 1400 ans après les "événements" cités plus haut). Et comme le fait remarquer l'historien danois Niels Peter Lemche à propos du mythe de Moïse, "la Bible a autant de rapport avec la réalité historique de l'Antiquité que le roman Ivanhoé de Walter Scott en a avec l'histoire de l'Angleterre médiévale".
Même sans trop se pencher sur le caractère mythique du patriarche Abraham, on constate qu'il faut une certaine audace pour faire remonter jusqu'à lui l'existence d'une "nation juive", puisqu'on nous dit, en effet, qu'il venait de Chaldée* (un pays aujourd'hui appelé l'Irak), et qu'il est à la fois l'ancêtre des Arabes (par Ismaël) et celui des Juifs (par Isaac).
* Pour les extrémistes israéliens de 2002, le "fait" que le patriarche chaldéen ait "conclu un pacte avec Dieu" et qu'il soit venu s'installer dans une région qui est aujourd'hui la ville d'Hébron, constitue un indéniable titre de propriété. Les 130.000 Palestiniens arabes qui habitent cette ville des territoires occupés, devraient donc céder la place aux 400 colons juifs déjà présents et à tous ceux qui suivront. Lire les détails. Sharon et son armée s'emploient à réaliser ce projet d'inspiration divine pour bien marquer qu'Abraham leur appartient en exclusivité et que les musulmans n'ont pas à venir prier sur le tombeau de celui qu'ils appellent Ibrahim. Déjà, en 1994, le tueur juif Baruch Goldstein avait massacré trente Arabes qui refusaient de comprendre ce saint principe.
Depuis quand les Juifs sont-ils un peuple distinct des autres peuples dont ils sont issus ? Bonne question, à laquelle il est malheureusement impossible de répondre... Admettons, pour simplifier, que 1200 avant J.C. soit une date historiquement acceptable pour marquer le début de la présence juive en Palestine. Les Juifs ont donc passé 13 siècles dans la région (au milieu d'autres peuples), avant d'en être chassés par les Romains entre 70 après J.C. (règne de Titus) et 135 (règne d'Hadrien) - par les Romains, répétons-le, et non par les Arabes, qui n'y étaient pas encore puisqu'ils sont arrivés au 7ème siècle.
Par conséquent, on nous dit qu'un peuple qui a habité un territoire durant 13 siècles, puis été absent de celui-ci (contraint et forcé) pendant 18 siècles, possède des droits ancestraux que n'a pas un autre peuple qui habite ce même territoire de manière ininterrompue depuis 14 siècles. Ces "droits ancestraux", ajoute-t-on, sont fondés sur un "don" fait par Dieu à son peuple "élu"... Pareille "argumentation" pourrait prêter à sourire, si le contexte n'était pas si tragique.
On imagine ce qui se passerait si les Indiens des Etats-Unis, en vertu de droits ancestraux qu'ils doivent bien tenir de quelque divinité qui leur est chère, venaient réclamer pour eux la totalité du pays... Et pourtant, leurs droits seraient infiniment mieux fondés que ceux des Juifs sur la terre de Palestine, car les Indiens, eux, les feraient valoir auprès du peuple qui les a chassés de leurs territoires, et non auprès d'un autre peuple immigré beaucoup plus tard. Mais la situation des Indiens face à l'invasion blanche s'apparente en fait à celle des Arabes palestiniens face à la déferlante sioniste. Les deux peuples sont victimes d'une criante injustice qu'il serait grand temps de réparer. (Lire ici le point de vue du professeur juif canadien Michael Neumann: Israelis and Indians.)
Soit dit en passant, le fait d'invoquer des "droits ancestraux" vieux de deux ou trois mille ans pour s'approprier un territoire est sans précédent dans l'histoire mondiale. On explique ce caractère unique par l'extraordinaire homogénéité tant ethnique que religieuse du peuple juif. Le judaïsme ne pratiquant ni le prosélytisme religieux ni la conversion forcée, mais s'efforçant au contraire d'écarter des communautés qui s'en réclament tout élément étranger susceptible de menacer leur "pureté", les Juifs n'ont pas connu, au cours des âges, les assimilations et brassages propres à tous les autres peuples. C'est du moins l'opinion communément acceptée, et la base idéologique du sionisme qui prône le retour de la Diaspora au pays des ancêtres hébreux.
Ce dogme a été mis en doute par l'écrivain juif anglais d'origine hongroise Arthur Koestler (1905-1983) dans son livre La treizième Tribu. Les Juifs ashkénazes, qui représentent l'écrasante majorité de la population juive mondiale, ne seraient nullement issus des Douzes Tribus d'Israël dont parle la Bible, mais descendraient des Khazars, un peuple du sud de la Russie qui se serait converti au judaïsme par pure conviction aux alentours du 8ème siècle, et qui aurait conservé son indépendance jusqu'au 11ème siècle, avant de s'éparpiller dans toute l'Europe centrale et orientale. Le "lien historique" de la plupart des Juifs actuels avec "la terre d'Israël" serait donc purement mythique.
Seuls les Séfarades, ces descendants des Juifs exilés dans l'empire romain (Italie, Espagne, Portugal, Afrique du Nord, Orient), auraient effectivement des attaches lointaines avec la Palestine. Les Séfarades sont très minoritaires dans les grandes communautés juives du monde, y compris en Israël. Seule exception notable : la France (et ce, seulement depuis l'afflux des Juifs d'Algérie en 1962).
Paradoxalement, ce sont les "faux Juifs" ashkénazes qui sont à l'origine du sionisme et de l'idée de reconquête de la Palestine.
Les tenants du sionisme adorent les dogmes religieux et nationaux, même s'ils en font parfois un usage très pragmatique. Le cas échéant, lorsqu'il s'avère nécessaire de stimuler l'immigration pour créer un contrepoids face à la population arabe palestinienne, ils ne sont pas trop regardants. Beaucoup de Russes ou d'Ukrainiens n'ayant que des liens très vagues ou très douteux avec le judaïsme sont venus s'intaller depuis 1990 en Israël ou dans les territoires occupés. Les "vrais" Israéliens les considèrent d'ailleurs comme des Juifs de second ordre. Il en va de même des Falashas, ces Ethiopiens noirs immigrés à une époque où les Russes étaient encore rares du côté de Tel Aviv. En 2002, l'Etat juif est allé plus loin encore en faisant venir des Indiens du Pérou fraîchement convertis. (Devant tant d'incohérence, Hirsh Goodman, dans le Jerusalem Post Report, en perd son hébreu.)
Une petite précision pour terminer :
Toutes les religions ont leurs dogmes, tous les peuples ont leurs légendes, sagas ou mythologies. Libre à chacun de croire que Dieu a créé le monde, que Thésée a vaincu le Minotaure et que nous descendons tous des Gaulois. Libre à chacun de critiquer ceux qui sont d'un autre avis ou, comme dit Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, de fustiger les esprits téméraires qui osent nier les prodiges de Gargantua et poussent l'audace jusqu’à douter que ce grand homme ait jamais existé. Le problème n'est pas là... Là où les dogmes et les mythes deviennent nocifs et dangereux, c'est lorsqu'ils sont crus et appliqués à la lettre, par fanatisme candide ou par calcul politique, et lorsqu'ils servent à justifier la guerre et l'oppression. C'est malheureusement bien souvent le cas en ce qui concerne Israël.
Sur les mythes raciaux qui constituent le fondement de l'Etat d'Israël, lire ici Sionisme et apartheid par Rabha Attaf.
En 1894, deux ans avant la parution de L'Etat juif, l'ouvrage-clé de Theodor Herzl, l'Américain Robert Ingersoll, avocat, libre-penseur et orateur renommé, disséquait d'ailleurs impitoyablement la barbarie des mythes bibliques dont beaucoup inspirent encore aujourd'hui le sionisme: About the Holy Bible.
Et enfin, incroyable mais vrai : 70 ans après les nazis, les idéologues sionistes apportent au monde étonné la "preuve" qu'il y a bien une "race juive". C'est ce qui ressort d'une "étude approfondie des séquences de l'ADN de différentes populations juives de la Diaspora". Lire ici les élucubrations pseudo-scientifiques du rabbin Yaakov Kleinman : Gènes juifs. "Il y a, aujourd'hui, une évidence précise d'un matériel génétique commun à tous les juifs", nous apprend Rabbi Jacob. Cette grande découverte du 21ème siècle risque de soulever un nouveau problème : que faire si des non-Juifs, dans un avenir proche, faisaient modifier leur patrimoine génétique pour s'infiltrer en douce parmi le peuple élu ?... Et si Ben Laden, lui-même ?... Je n'ose y penser... Oh My Gawwwd !...