Lors d’une conférence sur l’avenir de la Belgique à Louvain-la-Neuve il y a quelques semaines, pendant que la salle se remplissait, j’ai demandé à deux dames au troisième rang ce qu’elles aimeraient que je dise. “Ce que vous pensez vraiment”, était la réponse. “Nous voudrions que la Belgique survive. Mais nous comprenons aussi l’impatience des Flamands.” Je trouvais cette réponse émouvante. Elle m’inspire à la sincérité. Il y a toujours la tentation, pour plaire à l’audience, de ne pas dire exactement la même chose des deux côtés de la frontière linguistique. Cela m’arrive parfois, je l’avoue. Et cela arrive aussi aux autres observateurs et personnalités politiques. Alors voici ce que je raconte en Flandre, à vous de juger.
Ma thèse est la suivante : le PS a d’ores et déjà gagné les élections belges du 9 juin. Et le Vlaams Belang les a perdues. Vous pourriez dire que les élections n’ont pas encore eu lieu, ce qui semble être un commentaire correct d’un point de vue purement empirique, mais qui n’est pas conforme à la réalité sur le terrain. En effet, en ce qui concerne le gouvernement belge, le tableau d’ensemble est parfaitement clair.
Cordon sanitaire strict
Si le Vlaams Belang perd les élections, il ne fera pas partie du gouvernement belge. S’il les gagne non plus. Les partis au sud de la frontière linguistique maintiennent à l’unisson un cordon sanitaire strict. Pourquoi s’en écarteraient-ils ? Cela ne leur coûte pas une seule voix. Ils peuvent sans problème exclure un rival qui ne l’est pas dans le sud du pays.
Avec le PS, c’est exactement l’inverse. S’il gagne les élections et, par exemple, relègue le MR à une place d’honneur, il sera incontournable. Il pourrait alors éventuellement se débarrasser du MR et le remplacer par les centristes des Engagés, si ce parti faisait les résultats escomptés. Avec Les Engagés en plus, Vivaldi 2 tiendra au moins la barre en cas de bon résultat du PS.
Toutefois, si le PS perd ou perd lourdement et que, sur son flanc gauche, le PTB atteint des sommets sans précédent, il est possible que Vivaldi 2 devienne mathématiquement difficile et qu’il faille, pour compléter la majorité, faire appel à la N-VA, qu’elle gagne ou qu’elle perde. De toute façon, il n’y aura pas de coalition suédoise, car la N-VA, le MR, l’Open VLD et le CD&V ne parviendront jamais ensemble à une majorité fédérale, même pas complétés par Les Engagés. Ainsi, même avec des pertes extrêmement lourdes, le PS gagne et gouvernera si nécessaire avec partiellement d’autres partenaires.
Dans le même mouvement, la victoire électorale de Groen est très probable. En effet, en Belgique francophone, le PS et Ecolo sont considérés comme l’axe du prochain gouvernement wallon. Compte tenu de leurs bonnes relations et de la position de force du PS, les écologistes francophones sont également dans le cockpit de la prochaine coalition fédérale. Ecolo voudra que Groen, qui lui est étroitement lié – un mariage d’amour qui n’existe plus dans les familles politiques traditionnelles – rejoigne le gouvernement, à la seule condition qu’il atteigne le seuil électoral dans au moins une province et qu’il dispose d’un siège au parlement fédéral. Le député élu pourrait alors devenir immédiatement ministre.
Diable barbu
L’inverse est vrai pour le PTB/PVDA. Même si la Wallonie devait succomber aux charmes d’un parti souvent considéré comme démocratique au sud du pays, les démocrates-chrétiens ou les libéraux flamands ne peuvent pas se permettre d’entrer dans un gouvernement fédéral avec les communistes tandis que le Vlaams Belang reste le diable barbu. Si vous votez pour le PTB/PVDA, vous affaiblirez les autres partis de gauche ou de centre-gauche, ce qui renforce la droite et fait, en Flandre, éventuellement passer Groen sous le seuil électoral.
Il est temps d’élaborer un guide pratique qui pourra aider l’électeur hésitant. Plus la Flandre vote à droite, plus le gouvernement fédéral sera à gauche, car les voix du Vlaams Belang peuvent être déduites du total. Inversement, plus les francophones votent à gauche, plus le gouvernement fédéral peut pencher à droite, car les votes du PVDA/PTB ne comptent pas au niveau belge. La N-VA devrait être à bord en cas de victoire électorale de l’extrême-gauche, quel que soit son résultat électoral, qui n’a pas d’importance pour sa participation au gouvernement, mais seulement pour son poids dans celui-ci.
La démocratie en Belgique fonctionne, même les élections ne peuvent pas la menacer.