Vendetta anti-musulmane: 138 morts
MARIE-FRANCE CROS
Mis en ligne le 24/02/2006
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Des bandes de jeunes ont attaqué les musulmans dans plusieurs villes du sud. Il s'agit de représailles contre les émeutes anti-chrétiennes au nord.
AP
Une nouvelle fois, le Nigeria est le théâtre de massacres religieux. Après que des musulmans eurent incendié 32 églises et tué 46 personnes lors d'émeutes anti-chrétiennes - «justifiées» par la publication de caricatures de Mahomet en Europe - il y a deux semaines, des sudistes (chrétiens et animistes) ont attaqué des musulmans dans plusieurs villes du sud après une intervention du primat anglican, Mgr Peter Akinola, prévenant les musulmans qu'ils n' «avaient pas le monopole de la violence». On déplorait 138 morts jeudi matin.
La majorité des victimes sont enregistrées à Onitsha, ville majoritairement d'ethnie ibo; les Ibos, souvent commerçants, sont très présents parmi les minorités chrétiennes vivant au nord (musulman) du Nigeria.
Régulièrement
Cet immense pays est régulièrement le théâtre de tueries interreligieuses. Celles-ci ont surtout lieu au nord et au centre du pays.
Au nord, majoritairement musulman, en particulier depuis qu'à la faveur de la fin de la dictature militaire (1999), les islamistes ont fait une percée importante, aboutissant à l'imposition de la loi islamique dans 12 Etats fédérés. Des chrétiennes vendant de la bière, une éclipse, une rumeur, un concours de beauté - les prétextes à émeutes anti-chrétiennes sont multiples et ont fait des milliers de morts depuis 1999.
Au centre, parce que c'est la zone de rencontre entre islam et christianisme et qu'il y a de nombreux cas d'ethnies appartenant à des religions différentes qui se disputent des terres fertiles en brandissant l'étendard, bien commode, de la foi.
Depuis quelques années, cependant, on note qu'à chaque massacre de chrétiens au nord répond, en représailles, un massacre de musulmans au sud ou au centre; l'inverse s'est également produit.
Manipulations
Dans tous les cas, des intérêts locaux manipulent à l'envi les angoisses identitaires, liées à l'appauvrissement des citoyens (le revenu par habitant a diminué de 25pc depuis 1975 alors que, sur la même période, le pétrole, extrait au sud, a rapporté 300 milliards de dollars).
A la mi-février, le gouvernement fédéral a ainsi accusé les autorités de l'Etat fédéré islamiste de Kano (nord) d'avoir entraîné au djihad, «avec l'aide d'une puissance étrangère», une trentaine de membres de sa police religieuse. Les manifestations anti-chrétiennes de ce mois à Kano semblent avoir été noyautées par une milice chiite portant chemise noire. Les musulmans nigérians sont très majoritairement sunnites.
Plus radicaux encore
Plus généralement, on remarque que les autorités des Etats islamistes du nord doivent, de plus en plus, faire face à de plus radicaux qu'elles. C'est que les promesses qu'elles avaient faites lors de l'imposition de la loi islamique - fin de la corruption et de l'immoralité - ne sont pas suivies d'effet; curieusement, d'ailleurs, la loi islamique coupe la main des petits voleurs et fait la vie dure aux femmes -surtout celles qui n'ont pas de mari-, mais est bien moins sévère à l'égard des auteurs de détournement d'argent public ou des policiers qui rackettent les citoyens. Des groupes plus radicaux tentent donc de se faire une clientèle en accusant les autorités islamistes au pouvoir de n'avoir décrété la charia que par populisme et non par foi.
Le sud, lui, est marqué par le retour en force des mouvements ethnistes, parfois porteurs de revendications sécessionnistes.
© La Libre Belgique 2006
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