La mesure figure dans certains programmes. Mais la politique du bâton peut-elle être efficace pour s’attaquer au chômage de longue durée ? Plusieurs éléments et études laissent penser que ce n’est pas le cas.
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Les programmes des partis à la loupe : faut-il limiter les allocations de chômage dans le temps ?
La mesure figure dans certains programmes. Mais la politique du bâton peut-elle être efficace pour s’attaquer au chômage de longue durée ? Plusieurs éléments et études laissent penser que ce n’est pas le cas. Article réservé aux abonnésLa proposition de limiter les allocations de chômages est portée principalement, côté francophone, par le MR et les Engagés. - Didier Lebrun/Photo News.
Elle poursuit : « Ce raisonnement se basait sur certaines études qui montraient que si le chômeur est bien informé du moment de la dégressivité, cela peut inciter certains à fournir plus d’efforts et à se remettre à l’emploi. Mais la réforme mise en place est d’une complexité inimaginable : le système est tout à fait opaque pour la personne qui y entre, et les évaluations ont montré que cela ne donnait que très peu d’effets sur la remise à l’emploi. »
« Il faut qu’il n’y ait pas d’autres obstacles à l’emploi »
Loin de prétendre que cela ne fonctionne pas, Muriel Dejemeppe pointe plutôt le déséquilibre entre les effets escomptés et les « désagréments » engendrés. « Cela peut inciter des gens à trouver un emploi », admet-elle. « Mais cela va pousser d’autres vers les CPAS, l’assurance maladie-invalidité ou l’économie informelle, avec tous les risques que cela comporte. » Certaines études ont notamment montré que la fragilisation financière des demandeurs d’emploi conduisait notamment à les sortir des processus de formation et d’insertion socioprofessionnelle. « Prenons l’exemple vécu de la fin de droits aux allocations d’insertion après trois années, décidée en 2015 », complète-t-elle. « Les chiffres montrent qu’un tiers des exclus se sont retrouvés à l’emploi, sans indication sur la durée de celui-ci. Un autre tiers a perçu des allocations sociales. Et un dernier tiers est sorti des radars. » Les CPAS ne disposant pas des mêmes moyens que le Forem et Actiris pour travailler à la réinsertion professionnelle, on peut donc en conclure que cette réforme a eu pour conséquence d’éloigner un peu plus de l’emploi au moins deux tiers du public concerné.
Le risque que la mesure ne génère que peu d’effets positifs est d’autant plus grand que le profil des demandeurs d’emploi visés est particulier : il s’agit en général de personnes avec un faible niveau d’études, voire de travailleurs âgés dont le profil est peu attractif pour les entreprises. Des publics dont la remise à l’emploi dépend davantage de leur employabilité que de leur proactivité. « Le chômage de longue durée a des causes multiples. On se focalise ici sur l’incitant financier. Mais pour que cela puisse fonctionner, il faut qu’il n’y ait pas d’autres obstacles à l’emploi », rappelle celle qui est également rédactrice en chef de
Regards économiques, la revue de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires).
Or, c’est rarement le cas. Ainsi, les travailleurs âgés intéressent peu les employeurs. Et les femmes seules avec enfants peinent souvent à trouver une crèche. Il faut aussi prendre en considération l’offre de transports en commun, qui risque parfois d’allonger le temps de trajet du domicile au lieu de travail. Enfin, il y a la qualité de l’offre : en Wallonie, 27 % des annonces publiées par le Forem concernent des CDI, pour 82 % en Flandre. « On propose cette limitation sans s’être attaqué aux problèmes structurels du chômage de longue durée », déplore Muriel Dejemeppe. « Se focaliser là-dessus, c’est dangereux car, vu le profil des chômeurs de longue durée, il existe un grand risque que ces personnes aillent vers les CPAS, parce qu’elles ne pourront répondre à cette incitation tant que les autres obstacles à l’emploi n’auront pas été réglés. »
Un accompagnement plus ciblé, plus complet
Face au chômage de longue durée, la stratégie du bâton montre donc ses limites. A l’inverse, un accompagnement plus poussé, prenant en compte ces différents obstacles à l’emploi, obtient des résultats plus intéressants. Par exemple, « Coup de boost », ce partenariat entre le Forem et les syndicats, prend en charge les « Neet » (jeunes qui ne sont ni à l’emploi, ni aux études, ni en formation). Le dispositif aboutit à un taux de placement des jeunes supérieur à 70 %. Et des performances similaires sont constatées pour « Duo for a job », ce dispositif où un travailleur de 50 ans ou plus prend en charge durant six mois, à raison d’un jour par semaine, un jeune âgé entre 18 et 33 ans issu de l’immigration.
L’expérience a débuté en 2013 et, depuis, 6.388 duos ont été constitués. Sept jeunes accompagnés sur dix (77 % à Bruxelles) ont trouvé un contrat, un stage ou une formation, et parmi eux, une majorité de Neet ou de chômeurs de longue durée. « Le succès, c’est le caractère individualisé de l’expérience », explique Julie Bodson, directrice de l’ASBL. « Au lieu de calquer des solutions toutes faites sur un groupe hétérogène, on va chercher le jeune là où il est et on lui apporte un soutien intensif. On va travailler la confiance en soi dans une relation humaine, avec de l’empathie. A partir de là, il peut se remobiliser et développer un projet réaliste, adapté au marché de l’emploi. » En outre, cet accompagnement permet de combler un capital social et culturel qui fait défaut à ce public. « Cela répond aussi à la nécessité d’envisager ces jeunes dans leur globalité », ajoute-t-elle. « Leurs problèmes sociaux, de logement, psychologiques, de dettes… Le mentor va jouer le rôle de fil rouge et accompagner le jeune vers les autres partenaires pour travailler les différents obstacles que ce dernier rencontre, en le dirigeant vers le bon interlocuteur. »
Le risque de punir des gens qui travaillent
« Des études ont montré que ces dispositifs d’accompagnement individualisé peuvent être efficaces, mais qu’ils sont extrêmement coûteux », nuance Muriel Dejemeppe. Difficile dès lors de les généraliser. Pour elle, il convient d’abord de prendre en charge les demandeurs d’emploi qui, grâce aux données dont disposent le Forem et Actiris, sont identifiés comme les plus exposés au chômage de longue durée.
Enfin, un dernier argument plaide en défaveur de la limitation des allocations de chômage dans le temps : l’injustice. En effet, parmi les chômeurs de longue durée, beaucoup travaillent. « Quelqu’un à qui on imposerait une fin de droits après deux ans pourrait très bien avoir terminé un CDD récemment », explique la professeure d’économie. En effet, en Belgique, l’accès aux allocations de chômage est fort restrictif : il faut avoir travaillé 12 mois durant les 18 derniers. Et le calcul de la durée de chômage n’est pas « zéroté » tant que le demandeur d’emploi n’a pas une année de travail derrière lui. « Bref, on pourrait sanctionner des gens qui ont connu de courts épisodes d’emploi mais qui n’ont pas travaillé assez longtemps pour que le compteur de l’indemnisation soit remis à zéro. »