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Comment Bart De Wever peut contourner la règle des deux tiers pour réaliser une réforme de l’Etat
Il est possible d’entreprendre une réforme de l’Etat sans en passer par la règle des deux tiers des voix au Parlement. Autour du préformateur, Bart De Wever, on explique qu’il faudra être « créatifs ». C’est-à-dire ? Céline Romainville et Guillaume Delvaux, de l’UCLouvain, éclairent les cinq...
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Comment Bart De Wever peut contourner la règle des deux tiers pour réaliser une réforme de l’Etat
Il est possible d’entreprendre une réforme de l’Etat sans en passer par la règle des deux tiers des voix au Parlement. Autour du préformateur, Bart De Wever, on explique qu’il faudra être « créatifs ». C’est-à-dire ? Céline Romainville et Guillaume Delvaux, de l’UCLouvain, éclairent les cinq pistes praticables pour contourner la règle des deux tiers. Article réservé aux abonnés
Bart De Wever, préformateur, a très envie de devenir Premier ministre, et il n’imagine pas de l’être sans entreprendre une réforme de l’Etat. Le même sait cependant qu’il ne disposera pas au Parlement fédéral, ou improbablement, d’une majorité des deux tiers, indispensable. Il est donc beaucoup question parmi les partisans de la présumée future coalition Arizona (N-VA, MR, Engagés, CD&V, Vooruit), certainement chez les nationalistes flamands, de se montrer « créatifs ». C’est le terme à la mode. L’idée derrière : réaliser une réforme de l’Etat malgré tout, en contournant la règle constitutionnelle des deux tiers.
Ce sont Céline Romainville, constitutionnaliste à l’UCLouvain, et Guillaume Delvaux, doctorant dans le même domaine, qui ont attiré notre attention à cet égard. Ils nous éclairent. Et identifient cinq « pistes » permettant à Bart De Wever d’opérer si tel est son choix.
Avant cela, les deux apportent une précision : s’agissant de la règle des deux tiers nécessaires pour approuver un projet de réforme de l’Etat, il faut savoir que les abstentions ne sont pas prises en compte. Donc ? Donc, si, par exemple, le Vlaams Belang s’abstient dans l’hémicycle le jour venu, avec lui d’autres élus dans d’autres formations – Open VLD –, on comptera les voix favorables à la réforme par ailleurs, hors abstentions, les deux tiers étant dès lors plus facilement atteignables. C’est là juste une hypothèse de travail, mais la précision n’est pas négligeable : elle enseigne que les deux tiers ne sont pas forcément hors de portée, comme on semble souvent le présupposer.
Quoi qu’il en soit, revenons aux « pistes » permettant de contourner la règle, toujours avec Céline Romainville et Guillaume Delvaux.
Les cinq pistes
La première : ce que l’on appelle les « prises de décisions asymétriques ». Au sein du gouvernement fédéral, les décisions dans certaines matières, par exemple l’emploi, la sécurité sociale, sont prises par deux ministres, l’un francophone, l’autre néerlandophone (voire un Bruxellois…), qui opèrent avec l’accord de leurs entités respectives. On parle d’une organisation « bicéphale », ou « tricéphale » du gouvernement fédéral. En Flandre, Bart Maddens, zélateur de la cause nationaliste, a plaidé à plusieurs reprises pour cette formule qui a un caractère confédéraliste, organisant une gestion asymétrique des compétences concernées et annonçant sans doute leur transfert dans une phase ultérieure.
Deuxième piste, une variante de la première : l’exercice asymétrique de certaines compétences fédérales. A savoir : selon certains critères, une loi fédérale s’appliquera différemment dans l’une et l’autre entité. Exemple : selon le nombre de demandeurs d’emploi dans une Région, la législation sur le chômage pourra s’y traduire de façon différente, au nord et au sud du pays. Cette formule a les faveurs de Bart De Wever, qui l’a évoquée souvent en se référant au sort jadis de l’enseignement dans notre pays, compétence « nationale » qui fut gérée différemment dans les entités, cela avec l’accord de tous, francophones et Flamands, avant la communautarisation pure et simple. Bémols : il ne semble pas y avoir de consensus actuellement pour s’engager dans cette voie pour ce qui concernerait des compétences fédérales ; quid de Bruxelles dans un tel schéma ? ; et puis, il faudra tenir compte des limites posées par le Conseil d’Etat, et la Cour constitutionnelle, laquelle a la capacité d’annuler une loi qu’elle jugerait contraire au principe d’égalité et de non-discrimination, impliquant que « Les Belges sont égaux en droit ».
Troisième piste : utiliser les « compétences implicites »… C’est-à-dire ? Une entité estime qu’il est nécessaire pour elle d’empiéter sur une compétence fédérale pour mettre en œuvre pratiquement celle qui lui est propre. Exemple : la Flandre, compétente pour l’« aide aux personnes », a mordu sur le périmètre fédéral en sécurité sociale pour lancer son « assurance autonomie ». Ce qui, là encore, produit des politiques différenciées, des transferts qui ne disent pas leur nom.
Quatre : les accords ou contrats de coopération. Par lesquels les entités fédérées et l’autorité fédérale s’entendent pour gérer de façon différenciée une compétence qui reste théoriquement ancrée au fédéral, c’est le cas actuellement pour l’Inami et le VDAB, le service de l’emploi en Flandre. Là toujours, on est à la limite – si elle n’est dépassée – du transfert (masqué) de compétences, au détriment du fédéral.
Enfin, cinq : la décentralisation. Cela consiste à donner plus d’autonomie dans des compétences fédérales à des organes décentralisés pouvant se regrouper territorialement. Par exemple, Vincent Van Quickenborne avait poussé à cela comme ministre de la Justice, encourageant l’autonomie de gestion des cours et tribunaux, celle des arrondissements judiciaires en matière budgétaire, avant de rendre son tablier fin 2023.
Dans tous les cas, ces pistes conduisent à des réformes institutionnelles dans les faits, organisant des transferts de compétences « en stoemelings », ponctuent nos constitutionnalistes, parfois irréversibles. Bart De Wever convaincra-t-il ses interlocuteurs francophones de l’intérêt du procédé ? Et, le cas échéant, les décisions prises résisteront-elles au contrôle de la section de législation du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle ?