Neo, cette "ville fantôme" qui a déjà coûté des millions aux Bruxellois : "On a payé la villa de plusieurs avocats… sans résultat"
Libre Eco | Le dossier. Le projet de développement urbain du Heysel à Bruxelles patine depuis des années. Entre saga politique, concurrence avec la Flandre et affaires de gros sous, beaucoup doutent désormais de sa pertinence.
Raphaël MeuldersJournaliste service Economie
- Publié le 13-12-2024 à 11h01
- Mis à jour le 13-12-2024 à 11h23
Enregistrer
En 2014 le monde politique et les promoteurs présentaient leur grand projet pour le plateau du Hesyel. Dix ans plus tard, rien n'est encore sorti de terre.
Partager
Nous sommes en 2007. Tandis que Jacques Chirac termine sa dernière présidence à la tête de la France, la ville de Bruxelles décide de lancer un grand projet sur son territoire. L'endroit choisi ? Le plateau du Heysel au nord-ouest de la capitale, dont elle possède les terrains. À l'époque, c'est Freddy Thielemans (PS) qui est à la tête de Bruxelles-Ville. Il rêve de créer un grand centre de Congrès international. Le maïeur veut la crème de la crème.
"Il voulait son Calatrava, comme à Liège et à Mons", explique un proche du dossier. La Ville trouve vite un allié. La Région, avec aussi un socialiste à sa tête en la personne de Charles Picqué, est également intéressée par le plateau, mais pour y construire un centre commercial. Les deux s'unissent dans un projet nommé Neo. Au pied de l'Atomium, c'est tout un morceau de ville qui doit voir le jour, avec outre un centre de congrès et un shopping de 72 000 m2, près de 700 logements, des crèches, des restaurants, hôtels, un téléphérique et un parc d'attractions "Spirouland".
Il y a trop de possibilités de recours dans notre pays. À l'étranger, les autres villes peuvent avancer plus rapidement car elles n'ont pas toutes ces tracasseries juridiques".
Un ancien ministre bruxellois
Le partenaire privé est vite trouvé : il s'agit du géant français Unibail-Rodamco-Wesfield qui s'associe aux Belges Besix et CFE. Les maquettes sont montrées fièrement dans tous les grands salons immobiliers. Neo, c'est un milliard d'euros d'investissement prévu, avec la création de plus de 3 000 emplois directs.
Mais, 17 ans plus tard, comme sœur Anne, on ne voit toujours rien venir.
"On est moins loin que jamais, explique un élu bruxellois qui pense que ce projet ne se fera plus. On n'a pas la moindre ombre d'un début de permis et Neo n'est plus du tout adapté à 2024."
Une gestion opaque, une concurrence féroce avec la Flandre et un "mal belge"
Neo, c'est jusqu'ici un enchaînement de revers. Les premiers couacs arrivent très vite. Retour une dizaine d'années en arrière. Un peu plus au Nord, la Flandre a aussi son projet de centre commercial : Uplace à Machelen. Certains experts estiment qu'un seul de ces centres commerciaux est viable. C'est donc la course contre la montre et tous les coups semblent permis. Des riverains auraient ainsi été payés pour faire un recours contre le projet concurrent, ce qui les ralentit considérablement. La Flandre met aussi des bâtons dans les roues des Bruxellois en empêchant le "déménagement" du stade Roi Baudouin, dont les promoteurs ne voulaient plus, vers le parking C voisin.
"La gestion des autorités bruxelloises a aussi été très opaque et amatrice", insiste une source.
C'est un projet 100 % PS. Les partenaires politiques étaient rarement mis au courant des développements."
À lire aussi
"On espère que cette fois, c'est la bonne" : le gouvernement bruxellois donne un premier feu vert au grand projet de réaménagement du plateau du Heysel
Un acteur économique évoque, lui, "
des coulisses peu reluisantes" de cette gestion. Pour obtenir ses permis, la ville a besoin de la Région pour obtenir un nouveau PRAS, soit un Plan régional d'affectation du sol. Par trois fois, le Conseil d'État recale ces modifications, notamment pour des questions de mobilité. Cet ancien ministre bruxellois y voit un "mal belge". "
Il y a trop de possibilités de recours dans notre pays. À l'étranger, les autres villes peuvent avancer plus rapidement car elles n'ont pas toutes ces tracasseries juridiques. Ici, un seul riverain peut bloquer un projet pendant des mois, voire des années, comme cela a été le cas aussi avec le RER."
Un projet qui a déjà coûté des millions et qui serait "dépassé"
Les années ont eu raison d'une partie du projet. Le centre de Congrès et hôtel, nommé Neo 2, n'a pas passé le Covid. "
Heureusement. On prévoyait de construire un bâtiment horrible qui bouchait la vue sur l'Atomium", développe un élu local. Il reste donc Neo 1 (le centre commercial, les logements et le parc de loisirs) et Neo 3 (le parc des sports). Pour beaucoup, Neo 1 est dépassé. "
On veut construire un centre commercial en se basant sur des études datant d'il y a près de vingt ans," explique un expert.
Mais le monde a changé. Ce type de shopping center n'est plus du tout la panacée, d'autant plus qu'un autre centre commercial, Docks, s'est depuis installé dans le Nord de Bruxelles. La demande ne sera pas là."
"La Ville a pratiqué la politique de la terre brûlée, en détruisant quelque chose qui fonctionnait bien pour un projet incertain. C'est honteux. On ne brûle pas sa maison sans savoir où loger le soir."
Un élu bruxellois
Avant même la pose de la moindre pierre, le projet a déjà des conséquences pour le contribuable bruxellois. Entre les différents frais d'études, d'indemnités et d'avocats, l'abandon de Neo 2 aurait ainsi coûté 8 millions d'euros aux autorités publiques. Si Neo 1 ne se fait pas, ce chiffre devrait monter à 50 millions d'euros. La SRL Neo, qui regroupe les investissements publics du projet, affichait une perte reportée de 34 millions d'euros en 2023. Les tensions apparaissent aussi entre la Région et la Ville, cette dernière reprochant à la Région de ne plus avoir alimenté ce "compte commun" depuis trois ans.
"La Ville a dépensé des millions d'euros en expertise juridique, poursuit cet ancien élu.
On a payé la villa de plusieurs avocats. Tout ça pour avoir des projets qui ne sont pas libérés de recours. Bref sans résultat." Pour certains, il faudrait aussi rajouter la valeur des biens détruits au Heysel pour faire place à Neo, comme le village Bruparck ou la piscine Océade, soit "75 millions d'euros."
"La Ville a pratiqué la politique de la terre brûlée, en détruisant quelque chose qui fonctionnait bien pour un projet incertain. C'est honteux. On ne brûle pas sa maison sans savoir où loger le soir."
[IMG alt="20140221 - BRUSSELS, BELGIUM: This handout picture, distributed by the city of Brussels at a press conference of the Brussels' government and Brussels city, shows the design of the infrastructures and public spaces of the NEO project, in Brussels, Friday 21 February 2014. The urban project NEO aims to redraw the entire Heysel - Heizel area.
BELGA PHOTO HANDOUT CITY OF BRUSSELS"]
https://www.lalibre.be/resizer/x-Mo...d/public/S5VKD3X55FFF3BW6V4SEHXNP7I.png[/IMG]
Le projet Neo prévoit, notamment, un grand centre commercial et de nombreux logements.
Une grosse incertitude sur les partenaires privés, certains étant "écœurés"
À ces différents frais pourraient s'en rajouter d'autres. Ces années d'attente ont considérablement miné la confiance des investisseurs privés. Même si Unibail-Rodamco-Wesfield (voir par ailleurs) est officiellement toujours derrière le projet, Neo a totalement disparu de sa communication. "
L'un des promoteurs est écœuré par cette gestion, souffle une source.
Il a déjà engagé énormément d'argent en frais d'ingénieurs, d'avocats et prépare un dossier pour demander des dizaines de millions d'indemnités aux autorités bruxelloises." Le cas n'est pas unique. Un promoteur a ainsi réclamé récemment un montant important à la ville d'Ottignies-Louvain-la-Neuve pour l'annulation d'un projet immobilier. Pour un autre observateur, il y aurait une sorte de jeu de dupes entre les promoteurs et les autorités bruxelloises.
"Personne ne veut être le Zwarte Piet qui retire définitivement la prise du projet, même si certains voudraient sans doute le faire." "Neo 1 est dans les cordes et va probablement être abandonné, insiste un autre.
C'était déjà un projet du passé quand il a été présenté." Les autorités bruxelloises croient, elles, toujours à la construction de cette partie de ville. Elles estiment qu'une fois sur pied, Neo rapporterait chaque année 70 millions d'euros en recettes fiscales.
L'état du stade Roi Baudouin inquiète
Au départ non prévu dans le plan Neo, le stade Roi Baudouin y a été intégré par défaut : son "déménagement" vers le parking C voisin n'a ainsi pas pu se faire. Mais son état (le stade a été construit en 1930) inquiète du côté de Bruxelles.
"Si l'on en croit les rapports, on devrait quasiment fermer le stade en urgence pour des raisons de sécurité, explique un élu bruxellois.
Je ne comprends pas comment on l'utilise encore."
Selon cette source, avant chaque match, des ouvriers sont ainsi obligés de forer puis de reboucher 580 petits trous dans les quatre grands poteaux d'éclairage entourant le stade pour faire sortir l'eau qui s'y engouffre. L'électricité et la toiture seraient aussi dans des états
"calamiteux." "On parle de millions d'euros rien que pour mettre le système électrique en ordre. Un moment, il faudra se rendre compte que construire un nouveau stade coûtera moins cher que de rénover celui existant." Le stade Roi Baudouin
"coûte cher" à la Ville de Bruxelles.
"Il est aussi en plein milieu du projet Neo. Tant qu'il sera là, je ne pense pas que ce projet pourra se faire." L'idée de construire un nouveau stade, en dehors du Heysel refait donc surface.
"On avait un très bon emplacement sur l'ancien site de l'Otan. Mais le projet a été rapidement bloqué par le ministre-président Rudi Vervoort (PS) et par le ministre Vanhengel (Open-VLD) qui craignait que cela amène de la nuisance pour leurs électeurs d'Evere. On pourrait toujours relancer cette initiative." Reste le nœud du problème : qui est prêt à payer pour la construction d'une telle enceinte ?