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Le Conseil supérieur de la santé très critique envers le nucléaire
L’énergie nucléaire pose des questions environnementales, éthiques, de santé et de sécurité, dit un groupe d’experts de haut niveau. En sortir est possible pour la Belgique, y compris en matière climatique. Prolonger deux réacteurs n’est pas sans risque.
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Info « Le Soir » - Journaliste au service Société
Par
Michel De Muelenaere
Publié le 25/10/2021 à 06:00 Temps de lecture: 5 min
Le document sera rendu public ce lundi, mais Le Soir a pu en prendre connaissance. Il ne porte pas sur n’importe quel sujet et n’émane pas de n’importe qui. Le Conseil supérieur de la santé, organe indépendant qui publie régulièrement des avis scientifiques à l’attention des décideurs politiques et des professionnels de la santé, s’est penché sur la délicate question du nucléaire. Au terme d’un rapport fouillé, sa conclusion est sans appel : « Sur le plan environnemental, éthique et sanitaire, l’énergie nucléaire de fission, telle que déployée actuellement, ne peut pas prétendre satisfaire aux principes du développement durable. » Pour toute une série de raisons environnementales, éthiques, de santé et de sécurité que les experts venus de multiples horizons détaillent sur plus de 140 pages. De quoi ajouter quelques arguments dans un débat passionné au terme duquel le gouvernement De Croo décidera s’il y a lieu ou non de prolonger deux des sept réacteurs belges.
Prolonger deux réacteurs de dix ans ? Le CSS est plus prudent. Il y a, dit-il, « des arguments pour et contre. Chaque option présente des risques, mais des risques de nature différente et comportant des implications différentes d’ordre éthique, environnemental, sanitaire, économique et de sécurité d’approvisionnement énergétique ». Mais, insiste-t-il, même la prolongation ne sera pas un remède miracle. Le Conseil rappelle au passage que la production électrique ne représente que 14 % des émissions totales de CO2 en Belgique. D’une part, prolonger accroîtra la production de déchets de 8 % pour 2 GW. Et même avec deux réacteurs tournant dix années de plus, la transition vers une économie neutre en carbone « nécessitera une détermination politique ferme aux niveaux régional, belge et européen visant à assurer aussi rapidement que possible les développements technologiques et industriels nécessaires ». Ajoutons que, prolongation du nucléaire ou pas, la transition nécessitera aussi des changements profonds en matière de transport, de logement, de consommation, de production… Prolonger deux réacteurs de dix ans, indique encore le rapport, présente enfin le risque « de freiner ou repousser à plus tard l’important effort industriel de transition, de développement massif des énergies renouvelables et de développement décentralisé du réseau électrique ».
Le point faible des déchets
Certains affirment que, sans nucléaire, nos objectifs climatiques sont inatteignables. Pour le CSS, même si les centrales nucléaires « n’émettent quasi pas de CO2 en fonctionnement, ce qui est un avantage indéniable », leur mise à l’arrêt « est possible pour la Belgique, pour un coût relativement limité, y compris en termes d’impact CO2 ». D’un autre côté, dit l’avis, « l’énergie nucléaire présente ses propres risques et pose de sérieuses questions ». Les 21 membres du groupe sont spécialistes en radioprotection, en gestion des déchets, en environnement, en éthique, en énergie renouvelable, en climatologie… y compris des anciens experts de l’agence de contrôle nucléaire et de l’organisme de gestion des déchets. Parmi les questions qu’ils soulèvent : la gestion des déchets radioactifs de très longue durée de vie, « point faible important et incontournable de l’énergie nucléaire » ; le risque d’accident grave qui, « même dans les meilleures centrales nucléaires », « a des conséquences jusqu’à grande distance et de longue durée, susceptibles d’impacter plusieurs générations » ; le risque terroriste ; les liens avec le nucléaire militaire et la prolifération des matières fissiles à usage militaire.
En matière de sûreté nucléaire, poursuit l’avis, « la Belgique présente une vulnérabilité spéciale en raison des caractéristiques des sites concernés : situés près de grandes villes et axes de trafic international, réseau routier saturé et populations denses ». Une poursuite de ce risque pendant dix ou vingt ans, vu la vulnérabilité particulière des sites belges, « pose des questions d’ordre environnemental, sanitaire et éthique », juge le Conseil.
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Gare aux stocks de produits pharmaceutiques
Le CSS n’épargne ni les technologies de nouvelle génération, ni les petits réacteurs nucléaires (SMR), dont le président français s’est récemment fait le champion. « Ils sont pour la plupart encore en phase de développement et des évaluations approfondies doivent encore être réalisées, entre autres en matière de sûreté. Même si ces développements pourraient créer des perspectives futures, ces réacteurs ne constituent en tout cas pas une solution aux choix actuels à réaliser par la Belgique à l’horizon 2035 et leurs utilisations militaires jettent une ombre sur leur compatibilité avec les principes du développement durable ».
En ce qui concerne la sécurité et les risques liés au terrorisme, pour lesquels il faut « un plan d’urgence complet », les experts s’inquiètent. Ils rappellent la nécessité de constituer et maintenir des stocks suffisants de produits pharmaceutiques et soulignent qu’en cas d’explosion nucléaire, chose à laquelle la Belgique n’est pas préparée, « la capacité de réponse médicale serait complètement dépassée ».
Quant au discours relativisant l’exposition à de faibles niveaux de radioactivité, le CSS, jugeant que « l’expertise concernant la santé et l’environnement présente, dans le monde nucléaire, de sérieux problèmes d’indépendance », met en garde : « Ces dernières années, de nouvelles données relatives aux effets de l’exposition aux rayonnements ionisants sont apparues et demandent une réévaluation des risques des rayonnements ionisants à doses faibles et intermédiaires. Il s’agit des effets non cancéreux, tels que maladies circulatoires, effets cérébraux et cataractes, qui impliquent des mécanismes d’un type nouveau non pris en compte jusqu’ici (effets épigénétiques, mitochondriaux, inflammatoires, vieillissement prématuré) ».