Mais mais mais?
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Paul Magnette (PS): "Le débat est clos, on va fermer les sept réacteurs"
Vue en plein écran
"Les COPs vont devenir de plus en plus un lieu où on évalue où on en est par rapport à nos objectifs. C’est très important que cette pédagogie-là s’installe dans le débat public", dit Paul Magnette. ©Andy Buchanan
FRÉDÉRIC ROHART
12 novembre 2021 18:47
Manque d'ambition, incapacité à s'entendre : le président du PS déplore la prestation de la Belgique à la conférence de Glasgow.
En temps normal, Hydro est une salle de concert de 13.000 places, mais pendant les deux semaines de la COP26, elle aura été la "Zone B", une annexe du site de la conférence où aller boire un café sous un globe terrestre aussi monumental que photogénique. C’est là qu’on retrouve le président du PS, fraîchement briefé sur l’état des discussions – il revient d’une réunion du Parti Socialiste Européen (PSE), avec entre autres le chef de cabinet du négociateur en chef européen, le social-démocrate néerlandais Frans Timmermans. Paul Magnette n’a pas de mal à trouver son chemin dans les dédales de la conférence – sa première COP, c’était en 2008, quand il était ministre fédéral du Climat.
Les ministres belges du Climat qui ne parviennent pas à s’entendre sur une répartition de l’effort, c’est grave ?
C’est navrant, je me sens presque honteux comme Belge. On est ici à essayer de mettre 200 pays d’accord et on avance, mais à l’intérieur de la Belgique, nos trois Régions et le Fédéral ne sont pas capables de se mettre d’accord. On donne une image lamentable de nous-mêmes.
Était-ce une erreur de vouloir un accord pour Glasgow ? L’Europe n’attend pas de la Belgique un plan avant 2023…
On est évidemment dans une dimension symbolique. En 2015, on avait beaucoup travaillé et on avait vraiment voulu que l’accord puisse être pris au moment de l’Accord de Paris. On était arrivé à la conférence de Paris avec un accord, avec des financements additionnels : ça vous donne une crédibilité quand vous prenez la parole. Ici, comment voulez-vous qu’on aille faire la leçon au reste du monde alors qu’on n’est pas capables de se mettre d’accord entre nous ? L’accord qu’on a fait en 2015, c’était aussi avec la N-VA. Je sais que c’est difficile avec la Flandre, ça l’a toujours été. Mais bon, Paul Furlan (PS) avait beaucoup négocié avec le gouvernement flamand à l’époque, j’avais beaucoup négocié avec Geert Bourgeois (N-VA), et on avait fini par trouver un accord. Il n’y a pas de fatalité, c’est un travail politique.
Quel est le problème selon vous, la N-VA, la pétrochimie anversoise ?
Forcément, il y a une forme de lobbying des industries et du patronat flamand – et bien sûr en particulier des raffineries et de l’industrie chimique. C’est clair que la N-VA freine des quatre fers, mais elle n’est pas toute seule au sein du gouvernement flamand : il y a l'Open VLD, c’est quand même le parti du Premier ministre, il y a le CD&V… À un moment donné, il doit quand même bien y avoir moyen de les convaincre qu’il faut avancer.
Ils ont quand même annoncé certaines mesures plus concrètes que côté francophone : obligation d’isolation des maisons à l’achat, une date pour la fin des voitures thermiques…
Oui, mais côté francophone on a quand même pris aussi des mesures très radicales : le stop béton c’est une vraie rupture. La décision d’arrêter de construire des routes aussi. On est en plein dans la réforme de la politique agricole, on doit vraiment aller vers une transition majeure en la matière. Sur la mobilité, on avance vers la quasi-gratuité des transports en commun et on y réinvestit énormément. L’accord wallon est très ambitieux, on investit massivement dans l’isolation des bâtiments publics et des logements sociaux. La Communauté française vient de dégager 1 milliard d’euros pour isoler ses bâtiments scolaires… Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des mesures intéressantes dans le plan flamand.
À quoi pensez-vous ?
L’obligation d’isoler au moment de la revente d’une maison, pour autant qu’on soutienne les petits propriétaires qui n’ont pas les moyens. Il y a ce que les propriétaires font chez eux mais il y a aussi tous les biens mis en location. C’est vrai que si on ne veut pas attendre un siècle avant que notre parc de logements ait été totalement isolé il faut trouver quelque chose pour avancer. On peut travailler via le loyer, il n’y a pas de consensus là-dessus au sein du gouvernement wallon, et on peut travailler à travers des mesures comme celle-ci. On a d’ailleurs des mesures approchantes dans les accords de gouvernement wallon et bruxellois. Mais bon, la Flandre est arrivée avec ça très tardivement. On a un peu l’impression qu’ils se sont réveillés quinze jours avant la COP… Ce qui, soit dit en passant, montre toute l’importance des COPs : ça devient un rendez-vous politique fondamental. Je pense que chaque année on va le vivre comme ça. Je crois qu’on doit se donner politiquement un rendez-vous avant la COP.
Sous quelle forme ?
Avec ces concertations entre les Régions et le Fédéral d’un côté, et la participation citoyenne, qui doit être institutionnalisée : il faut des panels citoyens dans les Régions et au Fédéral tous les ans en amont des COPs. Pour réévaluer : où en est-on des engagements qu’on a pris l’année dernière ; comment peut-on encore renforcer les mesures ? Il faut que ça devienne quelque chose de collectivement approprié. Il y a un gros travail à faire pour renforcer les ambitions de la Belgique : on vient d’être déclassé 49e sur 60, c’est dramatique !
Les COPs vont devenir de plus en plus un lieu où on évalue où on en est par rapport à nos objectifs. C’est très important que cette pédagogie-là s’installe dans le débat public. Qu’on dise chaque année "on est censé en avoir fait autant, où en est-on ?" L’agriculture wallonne, où on en est ? L’isolation des bâtiments fédéraux, où on en est ? Le développement de la SNCB, où on en est ? La fiscalité, qu’est-ce qu’on a mis en place, etc. Ça doit devenir quelque chose de structurant des choix politiques. On doit être neutres en carbone en 2050 et pour ça, tous les choix clés doivent être posés d’ici 2030, c’est demain !
Le plan national énergie-climat est censé baliser la voie : ça ne suffit pas ?
Si vous attendez la fin de la programmation, vous constatez que vous avez complètement dérapé par rapport à vos objectifs, c’est trop tard pour le corriger. Et je pense que c’est démocratiquement nécessaire.
Pour faire accepter des mesures plus contraignantes – de "restriction des libertés" ?
Il ne faut surtout pas voir ça comme une question de restriction des libertés. Au contraire, 95% de la population mondiale aura la vie "plus large" : aujourd’hui même dans notre pays beaucoup de gens n’ont pas accès à un logement correctement isolé et correctement aéré – ils ont des factures d’énergie qui explosent, ils sont exposés à la pollution de l’air intérieur, qui tue des centaines de milliers de gens chaque année. Beaucoup de gens ne peuvent pas s’acheter la dernière voiture électrique, n’ont pas accès à l’alimentation biologique… Pour eux, ça ne va pas être une restriction de liberté : ça va être une amélioration de la vie. Après, oui, on va restreindre un peu la liberté de ceux qui ont un jet, un yacht… Oui, il y a certaines surconsommations totalement abusives auxquelles il va falloir mettre fin. Parce que c’est plus facile et c’est plus juste d’arrêter des émissions totalement inutiles et totalement extravagantes que demander à des gens dont la vie est déjà difficile de faire encore des efforts. La répartition des émissions entre les 10% les plus riches et les 10% les moins riches, c’est quand même un rapport de un à 10. Il y a des vraies questions de justice sociale qui vont se poser, et on ne pourra plus reporter.
Je vois bien que les libéraux sont très mal à l’aise avec ces sujets : ils essayent de nous faire croire que la technologie va sauver tous les problèmes du monde. J’ai quand même trouvé assez effarant que dans son discours ici à la COP26, Alexander De Croo commence par évoquer les 41 morts belges, une vraie tragédie, et ne vienne avec aucune solution ! Juste parler de l’hydrogène et de l’éolien en mer, déjà quand j’étais ministre de l’Environnement j’ai accéléré tous les dossiers d’investissement de l’éolien en mer et la connexion des parcs –ça fait douze ans qu’on y travaille. Et du côté du MR, c’est nucléaire, nucléaire, nucléaire.
Qu’est-ce qu’il aurait pu dire en tant que Premier ?
Qu’il y a une vraie fracture sociale autour de la question environnementale et qu’il faut la corriger, que la Belgique veut être dans les pays pionniers, et que donc nous allons investir massivement pour isoler. Le plan de relance de Thomas Dermine (PS) c’est très bien : on a complété les montants qui nous ont été donnés par l’Union européenne. Mais rien que pour la Régie des bâtiments - casernes, palais de justice, prisons, bureaux -, Mathieu Michel (MR) dit qu'il faudrait 5 milliards en dix ans. Mettons-les ! La Communauté française, dont le budget représente un dixième du budget fédéral, investit 1 milliard dans les bâtiments scolaires. Proportionnellement le Fédéral pourrait faire 10 milliards, il n’en fait qu’un, c’est quand même dommage ! La SNCB a plein de projets dans les tiroirs, qui sont bons pour décarboner notre économie, pour le bien-être, qui rejaillissent sur l’économie belge : pourquoi on ne le fait pas ? Ici à Glasgow, on a zéro ambition, on n’est pas capables de se mettre d’accord entre nous et on se fait dégrader dans les classements, il est temps d’avoir un sursaut !
Vous plaidez toujours pour un "électrochoc d’investissement" ?
Oui, les taux d’intérêt sont proches de zéro, ça ne peut faire que du bien à la qualité de vie, à l’amélioration de la productivité et donc de nos performances économiques aussi. Jusqu’ici nous, Européens, nous sommes les leaders dans ce domaine. Mais le jour où les Américains et les Chinois se mettront d’accord, on va se faire dépasser sur la transition écologique comme on s’est fait dépasser sur la révolution des IT, où on a été complètement à la traîne.
Quand on est les derniers parce qu’on résiste, parce qu’on veut protéger la raffinerie, la chimie, au lieu d’accélérer les transitions technologiques, eh bien on le paye. Toute l’histoire de notre transition mal organisée dans le secteur de la sidérurgie par exemple devrait quand même nous le rappeler.
Et ces investissements publics, ils doivent être financés par l’Europe ?
Ça serait mieux évidemment, parce qu’il y aura un effet d’échelle beaucoup plus intéressant et une cohérence dans les choix industriels. Mais si l’Europe n’avance pas assez vite, la Belgique doit pouvoir le faire. On a des taux d’intérêt pratiquement nuls, on ne rembourse presque que le capital. Et on l’étale sur des périodes très longues.
Qu’est-ce qui bloque selon vous ?
Je me pose la question. J’ai parfois l’impression que c’est un pur blocage idéologique. Qu’on se dit : "On va le faire, mais pas trop".
C’est votre credo face au réchauffement : l’investissement public, comme d’autres misent sur la technologie ?
Tout le monde doit pouvoir investir, les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics. Mais on ne va pas se réduire à un discours sur les investissements : il y a des enjeux sur l’emploi, la sécurité sociale etc. La technologie c’est très important. Je suis socialiste, je crois dans la science, je crois dans le progrès, je crois dans la technologie. Mais l’erreur est de penser que la technologie va régler tous les problèmes. Beaucoup se réfugient dans la technologie parce que ça leur permet d’essayer de mettre de côté les problèmes redistributifs. Or ces problèmes sont là et ils vont s’amplifier, il faudra bien les affronter. L’Europe va étendre le système du prix du carbone, qui va s’appliquer aussi au résidentiel, au transport…
Vous en pensez quoi ?
Je ne suis pas fan des mécanismes de prix. Je préfère la régulation, c’est plus efficace.
C’est une position de principe, ou vous craignez qu’un mécanisme de prix ait des effets sociaux indésirables ?
Ici ce qui est proposé par la Commission est très modeste en termes de montants par ménage. Mais ça pose des questions redistributives. Nous plaiderons pour que, si ce mécanisme est mis en place un jour, 100% des recettes soient réattribuées aux ménages avec un effet redistributif.
Mais donc je préfère les normes : ça crée moins de problèmes de redistribution et ça oblige les producteurs à innover. S’il faut sortir des énergies fossiles, c’est plus facile de dire qu’on va interdire les moteurs thermiques dans les voitures, les chaudières au mazout, etc. à partir d’une certaine année, et tout le monde l’anticipe, les secteurs préparent des solutions technologiques. Il y a dix ans le marché belge était en train de se faire inonder par des poêles au bois chinois à très mauvaise performance énergétique : on a mis la norme au niveau des meilleurs producteurs belges : du coup, on évite de vendre des poêles peu performants et on soutient l’emploi en Wallonie.
Pour soutenir l’emploi local, justement, le président du MR parle d’une "TVA sociale" : réduire les cotisations sociales pour réduire les prix des produits locaux, et neutraliser la mesure en jouant sur la TVA. Ça vous inspire quoi ?
C’est une vieille idée de Sarkozy, je n’y crois pas une seconde. La TVA sociale, c’est comme l’eau sèche. La TVA, par définition, n’est pas sociale : elle est forfaitaire, donc c’est l’impôt le moins juste. J’ai d’autres idées sur le refinancement de la sécurité sociale : des cotisations sur les très hauts revenus… Il y a plein de choses qu’on peut faire, on y reviendra le moment venu.
Le MR parle de créer de nouvelles capacités nucléaires pour répondre à la demande énergétique, vous en pensez quoi ?
C’est un écran de fumée : ils ont compris qu’ils avaient perdu le débat sur la prolongation des réacteurs, alors ils viennent avec un autre sujet. C’est fini le débat sur la prolongation. Le CRM a été accepté par la Commission européenne, l’appel a permis de dégager une capacité suffisante, la NV-A a beau dire qu’elle ne donnera pas le permis pour la centrale de Vilvorde – ce n’est pas grave, il y aura des solutions de rechange. Le débat, il est clos : on va fermer les sept réacteurs nucléaires. Le MR vient avec un autre sujet – des nouvelles centrales nucléaires – histoire de donner l’impression qu’il n’a pas complètement perdu la partie. On a pris ce cap, les opérateurs ont compris que ce n’était de toute façon plus l’avenir, donc on a investi massivement dans le renouvelable, et un peu dans le gaz parce qu’il en faut bien pour opérer la transition.
Ce qui reste contre-intuitif dans un contexte de lutte urgente contre les émissions de CO2 ?
C’est évidemment un choix qui pose des questions en matière d’émissions de gaz à effet de serre, c’est incontestable. Mais d’un autre côté, ça permet de sortir du nucléaire qui pose d’autres questions. De toute façon, Engie a fait le choix de sortir lui-même du nucléaire en proposant de construire des centrales au gaz. Ils avaient dit eux-mêmes : les délais sont dépassés. On voudrait encore le décider aujourd’hui, on ne pourra pas prolonger ces centrales. Il y a des questions de rentabilité aussi : il faut demander des autorisations pour dix ans, ça veut dire des investissements de sécurité pour dix ans qui sont difficiles à rentabiliser sur des périodes plus courtes… Pour trente-six mille raisons, le débat est plié, c’est fini.
Ça fait longtemps que vous vous êtes fait votre religion sur le sujet ?
Assez longtemps. Avant l’accord de gouvernement, j’avais suggéré une prolongation de deux réacteurs pour cinq ans. On n’a pas été suivi, c’est pas grave.
En attendant, la décision sur la prolongation reste à prendre…
Le débat est intellectuellement clos, mais je pense qu’il va encore durer un petit temps, jusqu’à la fin du mois de novembre. Il y a encore quelques questions qui ont été posées : comment assurer la défense de l’emploi, comment assurer qu’on se prépare à devenir champions du monde du démantèlement nucléaire. On a une excellence historique dans le nucléaire, il faut la conserver, mais autour du démantèlement. On va être parmi les tout premiers au monde à fermer des centrales avec le démantèlement. Il y a 440 réacteurs dans le monde, qui un jour vont devoir tous être fermés. Demain, devenir des champions du monde du démantèlement des centrales nucléaires, avoir l’expertise, la connaissance, la formation ici en Belgique, c’est un superbe enjeu.
Bouchez critique le PS qui "ne se soucie pas de la sécurité d'approvisionnement"
Dans une réaction à cette interview publiée sur Twitter, Georges-Louis Bouchez a pris le contre-pied de son homologue du PS. "Donc le PS ne se soucie ni de la sécurité d'approvisionnement, ni du prix et encore moins de la planète! 'Un peu de gaz', dit-il? Le CRM (le mécanisme de rémunération de capacités proposé par le gouvernement fédéral, censé garantir la sécurité d'approvisionnement électrique dans le cadre de la sortie du nucléaire, ndlr),c'est 87% de gaz et il demande de ne plus subventionner les énergies fossiles dans le même temps?", a réagi le président des libéraux francophones. "Par ailleurs, ce n'est pas lui (M. Magnette) qui décide si un débat est clos", a-t-il poursuivi.