E-commerce: comment la Belgique a perdu des milliards d’euros et des milliers d’emplois
Dans une étude, la Fédération des entreprises de Belgique montre que le royaume est passé à côté de 0,3 point de croissance annuel du PIB en ratant le train des ventes en ligne. Ses solutions ? Le travail de soirée et la réduction du handicap salarial.
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Selon la FEB, les entreprises belges ont raté le gros de la manne du commerce en ligne, lequel a clairement filé vers des géants comme Amazon.fr en France, Bol.com aux Pays-Bas et Zalando en Allemagne. - Hans Lucas via AFP.
Journaliste au service EconomiePar
Julien BosselerPublié le 30/05/2022 à 06:00 Temps de lecture: 5 min
Notre pays serait-il passé à côté de la poule aux œufs d’or ? C’est ce qu’affirme haut et fort la Fédération des entreprises de Belgique, avec l’e-commerce dans le rôle de l’occasion loupée. Selon la FEB, en ratant le train du commerce en ligne, le royaume s’est privé de 0,3 point de pourcentage de croissance de son produit intérieur brut par an entre 2012 et 2019, soit un milliard d’euros et 6.000 emplois annuellement. Sur cette période et donc sans même compter ces trois dernières années, marquées par le covid et par l’accélération folle des ventes par internet, la perte s’élèverait donc à 7 milliards d’euros pour notre économie et à 42.000 jobs pour le marché du travail.
« Nous sommes arrivés à cette conclusion et à ces chiffres en observant l’évolution entre 2008 et 2021 de la valeur ajoutée de notre commerce, de nos transports et de notre secteur horeca qui représentent ensemble 18 % de notre économie. Nous avons ensuite comparé la progression de ces activités avec celle des Pays-Bas, de l’Allemagne et de la France », explique Edward Roosens, économiste en chef de la FEB, laquelle a aussi interrogé quelques-uns de ses membres. Le constat laisse sans voix. « Les trois secteurs ont connu une croissance de valeur ajoutée de 23 % aux Pays-Bas, de 10 % en Allemagne et de 5 % en France. En Belgique, par contre, ils ont diminué de 2 % ».
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Demande présente, offre insuffisante
Pour la FEB, pas de doute, c’est la trop faible progression du commerce belge en ligne qui explique ce résultat médiocre, comparativement aux prouesses des pays voisins. La fédération patronale en est d’autant plus persuadée que, « depuis 2008, le volume des ventes à distance en Europe a progressé de 220 %, alors que l’ensemble du commerce de détail n’a enregistré une croissance que de 15,6 %. » Sur la même période, la demande des Belges en biens et services vendus en ligne a progressé de 293 %, preuve que les consommateurs du royaume, même s’ils ont été lents à s’y mettre, se sont révélés in fine friands d’e-commerce.
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Hélas, déplore la FEB, ce ne sont pas les opérateurs en ligne belges qui en ont le plus profité… « Entre 2009 et 2019, le volume négocié par les entreprises belges de vente à distance n’a augmenté que de 95 % ». Pendant ce temps-là, les Allemands ont progressé sur ce plan de 269 % et les Néerlandais de 253 %. La FEB poursuit : « Non seulement la croissance de l’offre en Belgique est plus faible que dans nos pays voisins, mais la part de la vente à distance dans le commerce de détail total est également la plus faible en Belgique : moins de 3 %, contre 12 % en Allemagne et 10 % aux Pays-Bas ». La fédération déplore également que la valeur ajoutée de l’e-commerce n’ait progressé que de 95 % en Belgique, contre 269 % en Allemagne et 253 % aux Pays-Bas.
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Double handicap
Mais pourquoi les entreprises belges ont-elles raté le gros de la manne du commerce en ligne, lequel a clairement filé vers des géants comme Amazon.fr en France, Bol.com aux Pays-Bas et Zalando en Allemagne ? A cause de deux gros handicaps, bien connus des habitués des achats via le net : des prix moins attractifs et des délais de livraison (un peu) plus longs que ceux des boutiques en ligne étrangères. « La première faiblesse, celle des prix, s’explique par les coûts salariaux plus élevés de 15 % en Belgique par rapport à la moyenne de la France, des Pays-Bas et de l’Allemagne », estime Edward Roosens. « La seconde est liée au travail de nuit qui démarre déjà à 22h et aux suppléments salariaux de l’ordre de 25 à 40 % pour le travail plus tardif. Aux Pays-Bas, le surcoût du travail de nuit n’est que de 3 à 5 %. »
C’est dire si la FEB attend avec impatience la mise en application de la réforme du marché du travail voulue par le gouvernement fédéral et qui prévoit des assouplissements pour le travail de 20 h à minuit et des expériences pilotes avec des travailleurs volontaires, entreprise par entreprise. Côté coût de l’emploi, elle réitère, pour la énième fois, sa demande de réduction du handicap salarial par rapport aux pays voisins. « Ce handicap était passé de 16 à 10 %. Mais en raison de quatre indexations en neuf mois à peine (à cause de l’inflation, NDLR), nous nous attendons pour fin 2023 à 15 % d’écart avec la France, les Pays-Bas et l’Allemagne », déclare Edward Roosens. « Nous sommes en train de peaufiner une proposition à ce sujet à destination des partis politiques au pouvoir. »
« Concertation sociale incontournable »
Des horaires de soirée assouplis et des coûts salariaux compressés pour booster l’e-commerce ? Pas sûr que cela passe comme une lettre à la poste du côté syndical… « Pour nous, la concertation sociale restera incontournable concernant le travail de soirée auquel nous ne sommes pas opposés », explique ainsi Delphine Latawiec, secrétaire nationale de la CNE Commerce. « Il est en effet question non seulement de sursalaire mais aussi de santé. Cela nécessite un accompagnement. »
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Reste cette réalité : les géants étrangers du commerce en ligne ont gagné le cœur de nombreux consommateurs belges. Quand bien même ils pourraient demain rivaliser avec eux à armes (presque) égales, les commerçants d’ici éprouveraient probablement beaucoup de peine à grappiller des parts de marché sur le front, déjà perdu, de l’e-commerce non-alimentaire. Pour l’alimentation, par contre, rien n’est perdu. Ou du moins pas encore.