Marc Bourgeois, un expert en fiscalité: «Il faut sortir de la médiocrité du débat fiscal en Belgique»
Marc Bourgeois (ULiège), l’un des experts consultés pour préparer la réforme fiscale, rejette les critiques du MR sur le rapport et estime que le monde politique dispose d’une chance unique de rendre la fiscalité plus juste et efficace. A condition de la saisir.
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Marc Bourgeois (ULiège), l’un des experts consultés pour préparer la réforme fiscale, souligne que l’objectif est de restructurer et de rééquilibrer la manière dont on taxe, et cela a du sens. - BELGA.
Entretien - Chef du service PolitiquePar
Bernard DemontyPublié le 6/07/2022 à 19:18 Temps de lecture: 4 min
Ce mardi, le rapport des experts mandatés par le gouvernement pour étudier la réforme fiscale a été rendu public. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, l’a qualifié d’« insultant » ou encore de « manifeste du PTB ». Il a ajouté : « Si cela devient la base de la réforme, le ministre des Finances ne devrait pas nous inviter. » Nous avons contacté Marc Bourgeois, président du Tax Institute de l’Uliège, qui a participé à la confection du rapport.
Marc Bourgeois, que pensez-vous de l’accueil réservé au rapport ?
Quelques éléments de contexte, d’abord. Mark Delanote, professeur à l’Université de Gand est l’auteur unique du rapport. Mais il l’a produit en montant un groupe d’académiques, professeurs de droit fiscal et d’économie. Un groupe de neuf personnes qui y travaillent depuis un an. Il y a certes des membres de ce groupe qui ne valident pas tous les constats mais, globalement, nous partageons tout son contenu, qui répond aux grandes recommandations internationales. C’est une note de vision qui a un grand mérite : elle permet une réflexion out of the box et non pas conjoncturelle, où l’on utilise divers mécanismes pour corriger ponctuellement les imperfections. C’est le lancement d’une grande réforme structurelle.
Dans ce contexte, la réaction du président du MR a dû vous surprendre. Qu’en pensez-vous ?
J’en pense beaucoup de mal. On ne peut pas effacer comme cela le constat qu’il y a un déséquilibre d’équité et d’efficience de notre système fiscal, qu’il y a des comportements qui ne sont dictés que par des considérations fiscales. On ne peut pas dire que le système est inefficient et en même temps refuser d’en discuter parce que certains éléments actuels profitent à telle ou telle tranche de l’électorat. Il faut accepter d’ouvrir la boîte.
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Il faut lire la note en entier. On ne peut pas prendre uniquement en considération les éléments d’augmentation de la charge fiscale en ignorant qu’ils compensent en réalité une réduction des charges sur le travail. Et dire que la Belgique taxe déjà beaucoup le patrimoine, c’est vrai, si l’on n’entre pas dans la machine pour se rendre compte qu’en fait, certains payent tout et d’autres ne payent rien. Il y a aussi une inefficience forte et l’objectif est de restructurer et de rééquilibrer la manière dont on taxe, et cela a du sens. Le but est de rééquilibrer la machine.
Les experts sont politisés ?
Avec Bouchez, on n’est pas dans la demi-mesure. Je pense qu’il est difficile de taxer l’ensemble des experts de médiocres ou de les considérer comme idéologiquement marqués quand on sait qu’il y a dans ce groupe la plupart de professeurs de droit fiscal et économique des universités du pays. C’est un propos un peu curieux.
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Il est aussi reproché au rapport de ne pas chiffrer les conséquences de la réforme proposée.
Il est vrai que nous n’avons pas chiffré la réforme. Parce qu’on ne peut le faire que si on connaît les marges budgétaires dont on dispose. Il faut voir dans quelle mesure le gouvernement veut baisser la fiscalité sur le travail pour connaître le montant à compenser. Mais c’est une note de vision générale. Le but était de lancer la réflexion avant de faire les calculs dans un second temps.
Quel avenir souhaiteriez-vous que le monde politique donne à cette note ?
Mon espoir est qu’enfin on puisse avoir une vraie discussion fiscale. Quand on lit chaque année les rapports critiques du FMI ou de la Commission européenne, on a l’impression de lire une photocopie de l’année précédente. Mais c’est parce que le système ne fait pas l’objet de réformes qui le rendraient plus juste. L’idéal serait d’avoir enfin une discussion de haut niveau.
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C’est possible de réformer la fiscalité en Belgique ?
Je l’espère. Mais outre la difficulté institutionnelle, la Belgique est aussi un pays de droits acquis : dès qu’on obtient quelque chose, on pense qu’on peut le garder éternellement même si on vous démontre par A+B que c’est injuste. Si le politique pouvait s’emparer de ce rapport, ce serait bien. Je trouve que le ministre des Finances a agi dans le bon sens : il a mandaté le Conseil supérieur des Finances et a mis en place en parallèle un groupe d’académiques. Je rappelle que la précédente réforme, en 1962, a été menée par un académique. La note est un premier pas, mais si on la jette, on se maintiendra dans la médiocrité du débat fiscal en Belgique. Et c’est la responsabilité du monde politique.