Il est presque certain que la tension va monter au sein de la BCE entre les pays conservateurs vis-à-vis de l'inflation comme les Pays-Bas ou l'Allemagne et les pays très endettés comme l'Italie, la Grèce... sans oublier la Belgique.
Les événements vont décidément bon train au sein de la Réserve fédérale américaine (Fed). Après avoir déjà évoqué précédemment le "tapering" (NDLR: Référence au ralentissement progressif du rythme de ses achats d'obligations à grande échelle), mais aussi de futures hausses de taux de même qu'une mise en garde contre les risques sur les marchés, la banque centrale américaine fait cette fois volte-face à propos du caractère transitoire de l'inflation. Ce mot, "transitoire", était jusqu'à présent répété à l'envi chaque fois qu'il était question d'inflation. Les pressions sur les prix n'étaient pas de nature structurelle et elles allaient donc se résorber… Oui, mais quand? Et combien de temps allait durer cette période "transitoire"?
Et puis voilà que tout d'un coup le président de la Fed, J. Powell, déclare, devant une commission bancaire du Sénat, renoncer au terme "transitoire". Qui plus, il précise que l'économie américaine est en phase d'accélération et que le marché du travail a déjà bien progressé. En clair, cela signifie qu'au lieu de mettre un terme au tapering d'ici juin 2022, la Fed pourrait l'achever d'ici mars 2022, ouvrant la voie à des hausses de taux plus précoces si nécessaire.
Le message est on ne peut plus limpide : la Fed est devenue "hawkish" (Ndlr: Terminologie qui qualifie une attitude plutôt restrictive des banques centrales en matière de politique monétaire).
On peut parler de changement de paradigme. Car, rappelez-vous, dans une récente enquête réalisée par la Bank of America, les investisseurs déclaraient encore qu'ils étaient toujours convaincus du caractère "transitoire" de l'inflation. Mais maintenant que la Fed a enterré ce concept, comment les investisseurs vont-ils réagir? Et comment les autres banques centrales vont-elles se comporter?
La donne a changé
Après tout, le même concept a été utilisé à maintes reprises par la BCE. Christine Lagarde utilise la même terminologie depuis des semaines, voire des mois. Avec un taux d'inflation de 4,9% pour la zone euro, peut-elle encore prétendre que l'inflation va diminuer dans un avenir proche?
De leur côté, les Allemands, confrontés à un taux d'inflation de 6% en novembre, ne vont-ils pas être vite mal à l'aise? Le chancelier Scholz s'est déjà prononcé contre une poussée de l'inflation en insistant pour que le gouvernement agisse.
Il est presque certain que la tension va monter au sein de la BCE entre les pays conservateurs vis-à-vis de l'inflation comme les Pays-Bas, l'Autriche ou l'Allemagne et les pays très endettés comme l'Italie, la Grèce et la France, sans oublier la Belgique. La raison en est évidente. Les taux réels négatifs frappent durement les épargnants tout en réduisant les remboursements futurs de la dette des pays du Club Med. À cet égard, les investisseurs scruteront certainement avec attention le résultat des réunions de la Fed et de la BCE les 15 et 16 décembre prochains.
S'agissant des marchés financiers, le message de la Fed pourrait marquer la fin d'une époque. Une banque centrale "hawkish" change, en effet, complètement la donne. À plus forte raison, après une décennie de politique monétaire ultra-accommodante...
L'argent finira par ne plus être gratuit, du moins pas aux États-Unis, et donc pour la plus importante devise du monde, à savoir le dollar. Cela aura des conséquences lorsque les taux se normaliseront. Les pays émergents, qui se financent également très souvent en dollars, pourraient en subir le contrecoup. Mais comme les marchés obligataires sont des vases communicants, que cela implique-t-il pour l'Europe? Il est fort probable que l'écart de rendement entre les États-Unis et l'Europe va se creuser, ce qui profitera au dollar américain, mais finira aussi par entraîner les rendements obligataires en euros à la hausse.
Tout au long de l'histoire, la hausse des taux et une politique monétaire plutôt conservatrice ont conduit à ce que l'on appelle la "compression multiple". Cela peut se résumer à un ratio cours-bénéfice en baisse. Les flux de trésorerie futurs sont actualisés par des taux d'intérêt plus élevés et les investisseurs ne sont donc plus disposés à payer le même prix pour eux. Pour contrer cet effet, nous aurions besoin de bénéfices futurs plus élevés ou de revenus plus importants. Mais la croissance des bénéfices que nous avons connus cette année peut-elle se répéter en 2022? C'est moins probable, mais pas totalement impossible. Actuellement, le consensus du marché se situe autour de 7%, mais certaines banques comme JP Morgan entrevoient 14 à 15%.
Quelle que soit l'issue, la décision de la Fed va induire une volatilité beaucoup plus grande sur les marchés d'actions. La volatilité, qui avait déjà augmenté sur les marchés obligataires, se propage maintenant sur les marchés d'actions. Si c'est une bonne chose pour les traders et les spéculateurs, cela pourrait devenir assez vite gênant pour les investisseurs. Le résultat est qu'il est grand temps pour chacun de faire le point sur ses placements et d'y ajouter un peu de sécurité, quitte à ce que cela grève le rendement de son portefeuille dans un premier temps.
Frank Vranken
Chief Strategist Edmond de Rothschild (Europe)